Madame la Marquise prend les choses en main.

Invité

Aéroport de Boston. Deux heures trente minutes du matin. Des passagers errent hagard dans les couloirs de l'immense bâtiment. Les avions vont et viennent vaguement sur le tarmac. Les caméras de sécurité épient les passagers, les voleurs à la tire épient les passagers, les Mormons épient les futurs convertis.

Et au milieu de tout cela, Madame la Marquise Agla Heinrich Von Sigmund, dite le Poulpe, suivi d'Edgard, son valet de pied, qui pousse un chariot croulant sous un amoncellement disparate de malles et de valises. L'homme semble bien en peine et la femme agite ses tentacules d'un air impatient.

Ses tentacules, oui. Un mètre de long, lisse, flexible, agile et puissant, le tentacule est un excellent outil, implanté au bas du crâne, quelques uns dans le dos. En tout, huit tentacules enjoignent Edgard, par des gestes agacés, à presser le pas.

Les passagers observent la scène avec des yeux ronds. Certains mettent cette vision sur le compte de la fatigue, d'autre de l'alcool. Il y en a qui pensent au tournage d'un film. Les plus clairvoyants affichent une grimace de dégoût et s'éloignent prudemment.

« Ces humains, siffle et persifle la Marquise, sont vraiment insupportables. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. Ah, voilà la douane. Ce n'est pas trop tôt. Arrêtez-nous, Edgard.
- Oui, Madame. »

Et ils s'arrêtent. Le douanier détaille la Marquise de la tête aux pieds, s'arrêtant de façon tout à fait professionnel un peu plus bas que son menton. Lorsqu'il voit un tentacule s'entortiller nerveusement, il reprend brusquement ses esprits.

« Noms, Prénoms, Provenance et Motif de votre voyage.
- Marquise Heinrich Von Sigmund, Agla me prénomme, je viens d'Allemagne et je suis ici pour affaires. Voici Pergler Egdard, Allemand de même, mon domestique.
- Ces bagages sont à vous ? »

Il désigne d'un mouvement de tête la montagne de valises.

« Oui, je voyage toujours léger.
- Je vois. Tout est en ordre, bon séjour. »

Sans un mot de plus, le Poulpe fait un signe de tentacule à son domestique et sort de l'aéroport. Une voiture l'attend.

°°°

Edgard est assis à l'avant, avec le chauffeur. Quatre mètres plus loin, séparée par une cloison, la Marquise profite du confort un peu sommaire de sa nouvelle limousine. La longue voiture noire aux vitres teintées se faufilent dans les rues de la ville.

La femme se saisit du téléphone, compose un numéro et attend que l'on décroche.

« Stimmler, fait la voix, déformée par le combiné.
- C'est moi.
- Ah ! Bonjour, Madame. Heureux de vous entendre. Vous avez fait bon voyage ?
- J'ai connu pire. Et mieux. Le restaurant est-il près ?
- Oui Madame.
- Excellent.
- Il y a un imprévu, Madame.
- Quoi donc ?
- Marcus a disparu.
- Le dirigeant de la Confrérie ?
- Celui-là même. Un certain Yossuah semble assurer l'intérim, le temps qu'on retrouve Marcus. Malicia dit savoir comment faire.
- Je vois. Trouvez des informations sur ce Yossuah.
- Bien Madame.
- Ca sera tout.
- Merci Madame. »

Agla repose le combiné et ferme les yeux avec un soupir.

°°°

La limousine s'était arrêtée devant le restaurant. A l'intérieur de l'établissement, les employés qui s'étaient massés à l'entrée pour voir qui allait arriver, et comment, se rangèrent brusquement en fil.

Ils connaissaient la réputation de la nouvelle propriétaire et ne furent pas surpris d'être convoqués à cette heure si matinale pour une inspection impromptue. Ils savaient aussi que si la Marquise était exigeante, les salaires suivaient, aussi chacun tenait-il à conserver sa place.

La porte de la voiture s'ouvrit et une femme au corps admirablement sculpté par une combinaison blanche en descendit. Les employés masculins eurent un mouvement de sympathie pour la nouvelle patronne. Les femmes, elles, se montrèrent brusquement plus sceptiques.

Agla entra d'un pas décidé dans le restaurant. Une fois à l'intérieur, elle promena son regard autour d'elle. Edgard la rejoint, avec un bloc note, près à noter chacune de ses observations.

« Il faut refaire la décoration.
- Oui Madame.
- Quelque chose de plus sobre. Nous ne sommes pas dans un harem.
- Oui Madame.
- Séparer le restaurant en deux. Une partie tout public, une partie pour affaires et une partie pour les personnes fortunées.
- Oui Madame. »

Les employés furent éberlués par cette avalanche de remarques en si peu de temps. Ils tentèrent de n'en rien montrer. Agla marchait dans la colonne qu'ils avaient formés d'un pas vif.

« Nous garderons le nom du restaurant. Et le personnel. Il ne faut créer de déconvenue chez les habitués. Bien, Mesdames et Messieurs, votre attention. »

Ses tentacules s'entortillèrent en une tresse élégante alors qu'elle se retournait vers les employés. Tous l'observèrent avec intérêt.

« Les horaires sont réaménagés. Désormais, c'est de sept heures à minuit, pour tout le monde. »

Vague de crispation.

« Les salaires sont augmentés de vingt pour cent. »

Vague de satisfaction.

« Nous allons créer trois équipés équilibrées. Une pour chaque section du restaurant. Nous allons diversifier notre clientèle pour assouplir nos marges. Toute proposition sera examinée avec l'attention qu'elle mérite. Si elle est retenue, son créateur se verra récompensé en fonction. »

Murmures intéressés.

« Nos maîtres mots sont élégance, distinction et profit. Edgard détaillera les taches de chacun. »

Elle se pencha vers le sus-nommé et lui chuchota quelque chose à l'oreille.

« Je vous laisse régler les détails, vous savez quoi faire. Quand Stimmler sera là, faîtes le monter dans mon bureau. Veillez à ce que mes affaires soient déchargées et installées dans mes appartements.
- Bien Madame.
- Ah, et puis prenez quelqu'un dans le personnel pour vous assister. Un homme. Ou une femme pas trop séduisante, je ne veux pas vous voir distrait. Augmentez le en conséquence.
- Merci Madame. »

Le Poulpe avait fini sa démonstration. Elle monta dans son bureau, laissant la salle à sa nouvelle agitation.

Invité

Le temps avait passé et Madame la Marquise s'était affairée. Elle avait refait la décoration du bureau avec sobriété et élégance, elle avait signé des papiers, donné des ordres, des coups de téléphone et de tentacules et ingurgité une quantité considérable de café.

Satisfaite d'avoir ainsi rempli sa matinée, elle se laissa aller à un moment d'oisifs pensements, adossée à son confortable fauteuil, décontractée du tentacule.

Le restaurant était une excellente affaire, qui avait besoin de quelques modifications certes, mais qui n'en restait pas moins un établissement rentable, bien situé et jouissant d'une réputation plutôt avantageuse.

Il fallait qu'elle songe, tout de même, à contacter deux ou trois personnes. D'abord, les gérants des boites de nuits et autres clubs de friponneries du coin, afin de pouvoir définir une ligne de marchée commune mutuellement profitable.

L'endroit à la mode semblait être le Saturday Night. Elle se promit d'y aller faire un tour histoire de tâter le milieu et de voir ce qu'il était possible d'envisager.

Plus urgent cependant étaient les persistantes rumeurs sur la disparition de Marcus, l'éminent dirigeant de la Confrérie. Jusqu'à sa réapparition, Agla craignait que l'organisation se voit à la botte de l'Institut.

L'Institut. Un mièvre ramassis de sentimentalistes dont les beaux mouvements l'ennuyaient plus qu'autre chose. Il fallait se rendre à la Confrérie, et tenter d'y rencontrer un responsable, ou bien au moins collecter des informations.

Elle appuya sur un bouton.

« Oui Madame ?
- Préparez la voiture.
- Bien Madame. »

Quelques minutes plus tard, elle était en route.

[-> Confrérie, Hall d'Entrée]

Invité

[-> La Confrérie]

La limousine s'arrêta devant le San Angelo. Le chauffeur en descendit, ouvrit la porte arrière qui donnait sur le restaurant à La Marquise Agla Heinrich Von Sigmund, propriétaire des lieux, en descendit avec sa grâce inébranlable et sa mauvaise humeur conséquente.

Elle pénétra dans le restaurant, sans accorder le moindre regard à qui que ce soit. Ses tentacules battaient furieusement l'air et tout le monde évitait soigneusement son chemin, soucieux de conserver sa gorge ou son crâne intact.

Arrivée à la porte de son bureau, elle cria d'une voix autoritaire :

« Je ne suis là pour personne. »

Puis elle rentra dans la pièce, claquant la porte au passage. Elle bondit sur la cafetière, la remplit comme il fallait et attendit avec une impatience toujours croissante que le café soit près.

Quand ce fut le cas, un tentacule attrapa la cafetière, un autre une tasse, et elle se versa le liquide tant convoité qui rejoignit bien vite sa gorge. Elle posa ensuite son matériel et alla s'asseoir sur son confortable fauteuil de cuir.

Comme pour bien conclure les derniers évènements, elle fixa la porte et lâcha :

« Crétins. »

» tout va tres bien madame la marquise, tout va tres bien
» Suite pour une marquise !
» Madame M.