~°~ Chambre de Nightmare ~°~

[ Le hall]

Pfiou, et bien, enfin, elle était arrivée dans sa chambre. Cela n'avait pas été facile, parce que déjà, elle avait du monter tous ses bagages à l'étage et avait du s'y prendre en deux fois. Et ensuite, elle avait du trouver la bonne aile et la bonne chambre. Cela lui avait bien prit 1/4 d'heure! Mais maintenant, elle était enfin dans sa chambre et elle poussa un soupir de soulagement. La chambre était de taille satisfaisante, avec tout le mobilier nécessaire et des draps propres. Elle avait bien prit une parure de draps, mais il fallait bien avouer qu'elle avait la flemme de changer. A quoi bon? Sun était fatiguée, mais elle devait ranger ses affaires aujourd'hui! Aussi referma-t-elle la porte et ouvrit-elle sa première valise.

Elle commença à ranger soigneusement ses affaires dans la commode et en pendre d'autre dans l'armoire. Elle avait prit quelques petits bibelots personnels et aménagea un peu les lieux selon ses goûts. Cela lui prit une bonne heure, mais au final, elle était enfin installée. Elle s'allongea alors sur le lit, le regard dans le vide. On était le 31 décembre aujourd'hui. Elle allait commencer la nouvelle année dans un lieu inconnu. Il lui restait quelques appréhensions, mais l'acceuil de malicia l'avait un peu réconfortée. La Directrice semblait vraiment très gentille. Elle était jeune et ne ressemblait pas à une vieille demoiselle à chignon, laide et acariâtre. Peut-être se faisait-elle des idées, mais elle avait l'impression qu'en cas de problème, on pouvait compter sur Malicia. Et Dieu sait que les jeunes mutants en avaient des problèmes!

Finalement, la jeune fille ferma les yeux et s'endormit, secouée par les derniers évènements.

Comme cela faisait désormais un peu plus d’une heure et demi que Kira lisait son roman, il dut s’arrêter, tant parce qu’il avait un peu de mal à se concentrer que parce que c’était la limite maximale. Après autant de temps, il était possible que son corps se réchauffe subitement et que, malencontreusement (comme cela lui était arrivé des dizaines de fois), il produise une flamme qui aurait pour fâcheuse conséquence de réduire son livre en cendres. Il se rappela presqu’instantanément l’appellation que Malicia avait utilisée un peu plus tôt, lors de son arrivée, et pensa de façon faussement plaintive que c’était dur, d’être un mutant. Il n’avait pas encore consciente de l’étendue des pouvoirs qu’il possédait, et encore moins que cette affirmation pouvait se révéler vraie. Pour le moment, Kira en était resté au côté positif et excitant d’être "surdoué" et d’avoir en sa possession quelque chose de relativement rare.

Ainsi donc, il posa son livre sur la table de chevet et se leva. Il alla rapidement dans la salle de bains, uniquement pour vérifier s’il était suffisamment présentable, si ses mèches rebelles avaient pour une fois eu l’extrême obligeance de tenir en place. Mais il fut déçu en constatant le résultat. Il en rejeta donc quelques unes en arrière, s’amusa en voyant que le rose virait dangereusement au violet, puis quitta la pièce. Il troqua son duffle coat contre une veste à capuche, pas informe, mais tout de même relativement large et sortit de sa chambre. Il frappa donc à la porte de celui qu’il l’avait au préalable intrigué : le fameux Panic. Après deux essais et toujours pas de réponse, il laissa tomber. Il continua progressivement dans le couloir et arriva à hauteur d’une porte sensiblement similaire à la sienne : blanche, sans nom, ce qui laissait présager que le jeune homme ou la jeune demoiselle qui y logeait était nouveau ou nouvelle. Kira hésita quelques instants, il se demandait face à qui il allait se retrouver, comment il allait pouvoir amorcer la conversation mais, après tout, il était suffisamment sociable et à l’aise avec les autres pour ne pas penser à ce genre de choses. C’est pourquoi il fit totalement abstraction de cette facette qu’il ne soupçonnait même pas en lui, et frappa à la porte, de deux coups prononcés.

Kira était là depuis à peine une minute. Il avait cependant hésité avant de frapper une seconde fois à la porte mais, au moment où il leva son poing, il entendit une voix assez fluette lui annoncer qu’on viendrait bientôt lui ouvrir. Il en déduisit donc logiquement que c’était une jeune femme qui logeait ici. Il commença à s’imaginer comment elle pouvait être, et espérait surtout qu’ils allaient réussir à s’entendre. Peut-être même à aller à la fête organisée par l’Institut ensemble, simplement parce que Kira ne connaissait personne pour le moment et que ça devait être pareil pour la jeune fille qui s’apprêtait à lui ouvrir, étant donné que son nom n’était même pas indiqué, elle devait avoir emménagé depuis peu de temps.

Le jeune Shiver constata qu’un laps de temps un peu plus long qu’un aller jusqu’à la porte s’était écoulé depuis qu’il avait frappé à celle-ci. Il espérait simplement ne pas déranger, et encore moins l’avoir extirpé du sommeil. Il entendit les pas se rapprocher de l’entrée, la poignée tourna et la demoiselle lui ouvrit enfin. Elle avait l’air totalement éveillée mais les marques de l’oreiller ou de la couverture sur sa joue trahissaient le fait qu’elle venait de se réveiller depuis très peu de temps. Néanmoins, sa voix était tout à fait claire et agréable, et ses yeux pétillaient. Elle s’excusa vaguement d’avoir mis un peu de temps avant de lui ouvrir puis lui demanda en quoi elle pouvait lui être utile. Kira n’avait pas vraiment de réponse toute faite à cette question, il s’était promis de miser sur la spontanéité, c’est pourquoi il lui adressa un sourire sincère et lui dit :

_ Je voulais juste fairre ta connaissance. Je suis ici depuis ce midi et j’ai envie de me mêler aux autrres assez rrapidement. Alorrs malheurreusement ou heurreusement, c’est surr toi que c’est tombé !

Il marqua une pause. Etrangement, son accent russe ne le quittait plus depuis qu’il était arrivé à l’Institut, ce qui avait rarement été le cas lorsqu’il était en Russie, avec ses parents. Sans compter qu’il sentit son corps se réchauffer, comme depuis des années maintenant, mais avec un peu plus de virulence qu’à l’accoutumée. Peut-être était-ce simplement dû à la fatigue, cumulée à une timidité qu’il tentait tant bien que mal de dissimuler face à la demoiselle. Toujours était-il qu’il craignait vraiment de laisser échapper une flamme dans la direction de cette dernière sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Ainsi donc, il plaça ses mains derrière son dos, même si cela pouvait paraître impoli ou suspect. Il ne tenait pas à blesser quelqu’un le jour de son arrivée. Puis, il reprit la parole :

_ Parrdonne mon impolitesse, je ne me suis pas prrésenté : je m’apelle Kirra Shiverr.

En russe, son nom et son prénom avaient une consonance assez rude mais il ne pouvait absolument rien y changer ; son accent ne daignait pas s’atténuer. C’est pourquoi il émit un rire à peine audible, et tint à s’expliquer immédiatement, pour ne pas vexer son interlocutrice.

_ Je suis rrusse et pourr êtrre frranc, mon accent n’a jamais été aussi forrt. Enfin tout ça pourr dirre que tu peux prrononcer mon prrénom norrmalement !

Apparemment, la jeune femme trouvait ça audacieux que Kira soit venu la trouver dans sa chambre de cette façon. Il n’y avait guère songé avant mais il fallait admettre qu’il aurait très bien pu se trouver face à quelqu’un d’hostile. Néanmoins, il fut assez rapidement rassuré par le sourire qu’elle lui adressa. De plus, elle lui avoua qu’elle aimait bien cette outrecuidance. En somme, rien de franchement désagréable à entendre, ce qui laissait présager une certaine entente entre les deux individus. La demoiselle ouvrit un peu plus la porte et invita Kira à entrer dans sa chambre, considérant que c’était sans doute plus propice de parler à l’intérieur que sur le pas de la porte. Ainsi donc, le jeune Shiver entra dans la suite de son interlocutrice.

_ Nerrveux ? Oh non, je ne crrois pas. C’est sans doute instinctif. Mes orrigines rressorrtent parrce que je suis en dehorrs de mon pays, c’est une façon de me démarrquer sans doute.

Evidemment, Kira y avait pensé mais pourquoi aurait-il été nerveux en cet instant ? Il était en compagnie d’une jeune femme très affable, il ne se sentait ni nostalgique, ni particulièrement esseulé. Tout n’allait peut-être pas encore aussi bien que lorsqu’il était en Russie mais, a priori, il n’y avait pas de quoi s’alarmer. Après qu’il ait prononcé cette phrase, la jeune femme se présenta, et s’excusa surtout de ne pas l’avoir fait avant. Elle s’appelait donc Sun Wallas, c’était assez joli et chantant comme prénom. De plus, elle était d’origine chinoise, et Kira pensa aussitôt (mais peut-être n’était-ce que des préjugés) qu’elle devait avoir une philosophie de vie bien différente de celle des Américains. Elle devait être bien plus posée et douce, et surtout ne pas être égoïste. En tout cas, la première partie de sa phrase se révélait assez vraie.

_ Oui, je compte y aller, et ça serrait une joie pourr moi que tu m’accompagnes. A ce prropos, tu sais où ça se trrouve exactement ?

Il n’avait pas vraiment réfléchi à ça avant de venir rendre visite à Sun mais elle saurait sans doute lui apporter une réponse. Dans le cas contraire, il sillonnerait les couloirs jusqu’à trouver quelqu’un qui s’y rende aussi. Kira fit un rapide tour d’horizon : la chambre de Sun était sensiblement la même que la sienne, quoi que légèrement plus soignée et personnalisée. Le jeune Shiver s’autorisa à s’asseoir au bord du lit et hésita à poser une dernière question à Sun. Peut-être qu’elle serait légèrement surprise de l’entendre prononcer ces mots mais il avait envie de savoir, quitte à passer pour un ignorant.

_ Au fait, est-ce que je peux te demander pourrquoi tu es venue à l’Institut ? Ca va peut-êtrre t’étonner mais je n’en avais jamais entendu parrler avant aujourrd’hui…

La jeune femme semblait s’enflammer un peu mais Kira l’avait sans doute induite en erreur. C’est pourquoi, pour une fois, il mit de côté son naturel bourru avec les filles. En effet, Sun ne le savait pas encore, et il espérait qu’elle ne l’apprendrait pas de si tôt, mais le jeune russe avait toujours été particulièrement froid dès qu’il s’agissait de parler de sentiments, ou simplement de devenir plus proche avec quelqu’un (en dehors de l’amitié, évidemment). Ainsi donc, le fait que la jeune femme puisse imaginer qu’il l’avait invitée pour une autre raison que pour faire connaissance avec elle dans le but d’en faire une amie, le rendit légèrement plus réticent. Il n’allait tout de même pas faire marche arrière, c’était sans doute un peu tard et il allait passer pour un mufle mais… il ne fallait pas qu’elle se fasse trop de films. Il la regarda, comme s’il avait regardé un ami, et lui dit :

_ Cavalièrre ? Je ne sais pas vrraiment si tu y vois une quelconque connotation mais, si c’est le cas, oublie cette idée.

Ses mots pouvaient certes paraître rudes et peu agréables à entendre mais il les avait prononcés sur un ton tout à fait affable. Elle ne pouvait donc théoriquement pas le prendre mal. Comme elle enchaîna rapidement sur le lieu potentiel où se déroulerait la fête, Kira considéra que le sujet était clos. De toute façon, il fallait attendre pour la suite des évènements, peut-être que tout serait clairement affiché dans le hall ou tout simplement dans les couloirs. Peu de temps après que Kira se soit installé sur le bord du lit, Sun vint le rejoindre. La façon dont elle le regardait pouvait réellement porter à confusion pour qui sait observer mais Kira n’était pas de ceux-là. Il n’y fit pour ainsi dire pas attention du tout, sauf bien sûr quand il la regardait pour parler, et écouta attentivement ce qu’elle allait répondre. Apparemment, elle ne maîtrisait pas son don, ce qui leur faisait un point en commun, et ce pouvoir terrifiait ses proches. Le russe essaya d’imaginer en quoi il consistait et surtout de quelle façon il se manifestait, s’il pouvait être lui aussi touchée par la "malédiction" de Sun. Elle sembla être un peu troublée par ses propres mots, tant parce qu’elle marqua une pause entre ses deux phrases, que parce qu’elle avait posé son regard dans le vide, au lieu de le conserver sur son interlocuteur.

_ Je suis arrrivé ici un peu parr hasarrd. Ma mèrre m’y a conduit, elle avait peurr pourr moi. Je ne sais pas vrraiment en quoi consiste mon pouvoirr ou mon don, j’ignore comment le définirr. Je sais juste que ma températurre corrporrelle est anorrmalement élevée et que, si j’ai mis mes mains dans le dos tout à l’heurre, c’est parrce que je peux crréer des flammes mais que…

Il marqua une pause à son tour, c’était assez étrange de poser des mots sur ces phénomènes qu’il n’avait jamais réussis à (s’)expliquer de façon rationnelle. Il n’avait en outre jamais parlé de tout ceci à qui que soit ; en cet instant, il considéra donc qu’il devait avoir une sacrée confiance en Sun, ou alors était-ce simplement la certitude qu’elle comprendrait, qu’elle serait tolérante, et peut-être même qu’elle saurait l’aider.

_ … malheurreusement, je ne contrrôle rrien de tout cela, moi non plus.

Il ne fallait absolument pas qu’il paraisse abattu ou qu’il se laisse submerger par les émotions, sans quoi il savait pertinemment que ce serait le début des ennuis pour lui. Cependant, peut-être qu’il en avait trop dit, parce qu’une fois de plus, il sentit ses joues s’empourprer à une vitesse assez impressionnante, bientôt suivies par ses pieds, son abdomen et tous ses membres, un à un. Contrairement à d’habitude, il n’eut à aucun moment l’impression que ses mains allaient former une flamme, juste qu’il ne pouvait pas rétablir sa température, ce qui était peut-être un bon début. Il se râcla la gorge, regarda Sun et lui dit :

_ Tu n’aurrais pas un verrre d’eau, s’il te plaît ?

[Désolée, je suis pas très inspirée pour une fois]

Sun alla lui chercher un verre d’eau dans la salle de bains, comme Kira lui avait demandé. C’était aussi un moyen de rester seul, juste un court instant, afin d’essayer de contrôler la chaleur étouffante qui l’envahissait. Pendant un temps, il eut presque les symptômes d’un claustrophobe ; il se sentait vraiment oppressé, étriqué, il ne savait pas comment se débarrasser de son corps, il avait juste envie de fuir. Et puis, lorsque la demoiselle revint et lui tendit le verre, il se calma, respira de nouveau sereinement et but une gorgée d’eau. Après quoi, il sourit grâce à la remarque amusante de la demoiselle et continua de l’écouter. Visiblement, elle ne se sentait pas gênée avec Kira, elle semblait même vouloir lui confier des choses que, peut-être, elle n’avait jamais eu le courage de dire avant. Le russe fut surpris lorsqu’elle parla de cauchemars. Il tenta de rassembler ses idées et de réfléchir à ce qui pouvait lui faire le plus peur, tout en espérant que Sun ne s’en servirait jamais contre lui. Néanmoins, il ne trouva rien de suffisamment consistant. Il n’avait pas peur des insectes, ou alors de quelques uns seulement, comme tout le monde et sans que ça soit pathologique, il n’avait pas peur du vide, encore moins de la mort et de tout ce qui peut potentiellement effrayer une personne en temps normal.

_ Oui, je te rremerrcie, ça va mieux à prrésent. Je crrois que c’est la prremière fois que je rressens autant de symptômes désagrréables. Des fois, j’ai l’imprression que c’est quand je vais bien que tout ceci se déclenche de manièrre assez… virrulente, je dois avouer.

Il s’interrompit pendant quelques temps et se rendit compte que ce raisonnement se tenait. C’était précisément quand il allait bien, quand rien ne venait troubler son esprit, quand tout semblait se dérouler comme il le voulait, qu’une nouvelle "crise" se déclarait. La seule conclusion plausible qu’il put en tirer fut que son don n’en était finalement pas un mais que c’était un élément qui venait détruire les courts moments de bonheur qu’il pouvait avoir. Sun avait donc raison, c’était une malédiction, ou quelque chose comme ça. Il lui posa une dernière question :

_ Ici, à l’Institut, tout le monde est comme nous, je prrésume mais… Malicia a parlé de nous apprrrendrre à contrrôler nos pouvoirrs, est-ce que tu sais comment cela se passe ? Parrce que maintenant que je suis là, j’ai vrraiment envie de m’y mettrre, surrtout aprrès ce qui vient de se passer.

La première question que Sun lui posa était une sorte de relance ; peut-être que Kira finirait vraiment par croire qu’elle s’intéressait à lui. Il ne voulait évidemment pas se l’avouer mais, si tel était le cas, il ne la repousserait certainement pas. Dès qu’il avait posé les yeux sur elle, il l’avait trouvé gracieuse, optimiste, joyeuse, attirante ; en somme, elle était vraiment une fille très agréable et pleine de charme. Cependant, il ne pensait pas une seule seconde en faire sa petite amie, peut-être simplement parce qu’il n’accordait aucune confiance à la gente féminine mais peut-être aussi parce que c’était typiquement le genre de jeune homme à être trop volage et trop futile (bien que cela paraissait difficile à cerner au premier abord) pour s’engager dans une relation, aussi éphémère soit-elle. Pour ne pas laisser la question en suspens, il s’accorda une réponse un peu moins rude qu’à l’accoutumée :

_ Bien sûrr que je me sens bien sinon, je ne serrais pas rresté avec toi.

Il avait dit ces mots de façon assez curieuse, ce n’était pas de l’ironie, pas non plus une affirmation sincère et sérieuse. Pour autant, ce n’est pas dénué d’une certaine connotation affective. Il pouvait au moins admettre que la compagnie de Sun était tout à fait agréable. Cela ne l’engageait a priori à rien, juste à être un peu plus aimable que d’ordinaire. Il n’avait simplement pas l’habitude de l’être mais sans doute que le climat beaucoup moins rustre qui régnait en Amérique l’aiderait à tendre vers quelque chose de moins "typiquement slave".

La demoiselle répondit à sa deuxième question mais de manière beaucoup moins passionnée et joviale que précédemment. Assez logiquement d’ailleurs puisque ce n’était pas du tout du même ordre, et c’était surtout beaucoup moins drôle. Kira put constater qu’elle était donc capable d’être très amusante et de parler très sérieusement la seconde d’après ; il appréciait cette adaptation puisqu’il était sensiblement pareil. Il regarda Sun et lui dit à son tour :

_ Tu ne crrois pas que cerrtains pouvoirrs peuvent êtrre vrraiment dangerreux s’ils sont déclenchés sans maîtrrise ? Pourr ma parrt, je ne peux pas me vanter d’êtrre capable de mettrre le feu au manoirr mais quand même… ce n’est pas inoffensif.

Kira remarqua qu’elle n’était pas très à l’aise quand il s’agissait de parler de son pouvoir, des conséquences que cela pouvait entraîner. C’était sans doute assez violent comme manifestations, même si furtif et inoffensif sur le plan physique. Néanmoins, il savait depuis longtemps que les blessures se soignent, tandis que les chocs psychologiques perdurent, parfois même très, trop longtemps. Il n’en avait jamais vécu de très forts cela dit mais il était conscient que la séparation avec sa mère, encore récente certes, allait avoir un certain impact sur son comportement.
C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’il trouva sa faille : sa mère. Priant presque pour que Sun ne l’apprenne jamais et qu’elle s’en serve, involontairement contre lui, il continua de parler :

_ Tu n’as pas l’airr d’aller bien quand tu aborrdes ce sujet, si c’est trrop durr pourr toi, je peux comprrendre tu sais. Et je n’aime pas vrraiment les effluves de sentiments, je… je ne voudrrais pas te voirr pleurrer !

A son tour, il émit un petit rire discret. La plaisanterie était une manière comme une autre de se défendre et de rendre le sourire. Quelqu’un de normal d’un point de vue "social" aurait depuis longtemps opté pour autre chose cela dit. Dans ces cas-là, le simple fait de prendre l’autre dans ses bras peut être bien plus réconfortant mais… Kira ne savait ni comment s’y prendre ni comment la demoiselle aurait pu réagir. L’idée lui traversa néanmoins l’esprit mais il se garda bien de la réaliser ; il bougea juste sa main en direction de celle de Sun… et se ravisa au dernier moment.

_ En rrusse, le mot "cauchemar" [il fit un effort pour le prononcer sans accent] est le même qu'en frrançais sauf qu'on le prrononce "kochmarr" (кошмар), et c'est un peu moins effrrayant qu'en frrançais d'ailleurrs.

Cette remarque, forte inutile au demeurant, était une preuve assez évidente que Kira recommençait à paniquer, les ennuis allaient de nouveau réapparaître. Cette fois, cependant, il ferma les yeux et inspira lentement. Peut-être que, de cette façon, il pourrait éviter le pire.

[Désolée de l'attente, pas eu le temps avant ]

Un joli sourire fleurit sur les lèvres minces de Sun à la réponse de Kira. Moins rude que tout à l'heure, il avait effectivement avoué qu'il était bien en ce moment, avec elle. Ca tombait bien, c'était réciproque. Il avait chassé les cauchemars et là, il chassait la solitude, cette ennemie qui ne cherchait qu'à rattraper Sun pour l'engloutir. Elle en avait besoin, mais en même temps elle en avait peur. Un rapport difficile s'était installé entre la jeune fille et cette vieille compagne.

- "Tant mieux, parce que j'apprécie ta compagnie."

Voilà la jeune fille dans toute sa splendeur : une franchise désarmante, sans fioriture, ni hypocrisien, quitte à mettre l'autre mal à l'aise. Ce qui n'était pas le but évidemment. Elle aurait voulu lui dire qu'il l'aidait à tenir la solitude éloignée, mais n'osa pas. Cela lui semblait trop personnel et elle ne le connaissait pas assez pour se permettre une telle privauté.

Kira reprit alors la parole suite à la réponse de Sun. Elle le regarda alors qu'il lui demandait si certains pouvoirs n'étaient pas de réels dangers dés lors qu'ils n'étaient pas maitrisés. Si songea-t-elle.. Surtout pour un potentiel pyromane. Malgré son affirmation, il était peut-être capable de mettre le feu au manoir sans le savoir. Et cela devait l'angoisser non? Comme cela angoissait Sun de susciter un cauchemar chez le jeune homme. A nouveau, elle se força à ne pas y penser, pour ne pas le provoquer justement.

Il continua, faisant remarquer que cela semblait difficile pour la jeune fille d'aborder le sujet. malgré elle, elle sourit quand il termina en disant qu'il ne voudrait pas la voir pleurer. Pas à l'aise avec les effusions sentimentales... C'était un garçon, c'était normal, non? Sun secoua doucement la tête.

- "Ne t'en fais pas, je ne vais pas m'écrouler en larmes dans tes bras. Cela fait bien longtemps que mes joues sont vierges de toute larme."

Sun n'avait pas pleuré depuis trèèès longtemps. Il lui semblait qu'elle n'en était plus capable. Quelque chose était mort en elle durant ses années de calvaire. Elle remarqua le geste esquissé mais non aboutit de Kira. Et elle sourit à nouveau, faisant comme si elle n'avait pas remarqué cette envie de la toucher, de la réconforter. Envie maladroite, mais touchante. Il déclara alors que le mot cauchemar était le même en russe, mais se prononçait différamment. Elle ne voyait pas où il voulait en venir, mais soupçonnait qu'il était dépassé par ce qui se passait, dans l'intimité de cette chambre.

- "C'est vrai... Parle-moi de la Russie... Comment c'est la vie là bas?"

Il fallait qu'elle change de sujet... A tout prix!

Heureusement que Sun avait su deviner la gêne que ressentait Kira, ou tout du moins il se plut à croire qu’elle avait compris qu’il était un peu mal à l’aise, d’où le changement de sujet. Pas franchement radical puisque cela découlait directement de la dernière –et totalement inutile– remarque du russe. A présent, elle voulait savoir comment était sa vie lorsqu’il était encore dans son pays natal. Pour un peu, Kira n’aurait pas su répondre, il y avait tellement de choses à dire et en même temps si peu qui soient intéressantes pour quelqu’un qui ne connaît pas les beautés que peut offrir la Russie.
L’espace d’un instant, il repensa à sa mère mais il évita de sombrer dans une nostalgie malsaine, surtout en cet instant. Il savait que s’il s’y était attardé, c’eut été vraiment une erreur, il aurait indubitablement eu besoin de réconfort. Et tomber dans les bras de Sun aurait pu être fâcheux. C’est pourquoi il respira un grand coup et se retourna vers la demoiselle :

_ La Rrussie ? Je crrois que tout le monde a des prréjugés surr mon pays. Il y fait atrrocement frroid,, les gens sont ferrmés d’esprrit et à parrt la vodotchka, parrdon la "vodka" comme vous dites, il n’y a rrien pourr surrvivrre.

Il marqua une pause. Il savait pertinemment que les gens qui ne sont jamais allés en Russie, et en particulier les américains, devaient avoir ce genre d’a priori. Il avait presque envie d’en rire, tant parce que c’était un peu vrai dans la Russie encore arriérée, que parce que c’était si réducteur qu’il valait sûrement mieux faire un peu d’autodérision plutôt que de crier au scandale. Néanmoins, il n’allait pas arrêter la description de son pays à ce genre de détails assez caricaturaux. Ainsi, il poursuivit et quitta son ton ironique pour en adopter un plus... passionné :

_ Tout ceci est faux, évidemment. La Rrussie est un pays magnifique où, certes, il fait frroid mais où les gens sont aimables, générreux, serrviables, honnêtes et surrtout trrès tolérrants. Tu vas peut-êtrre trouver ça que je suis chauvin mais pourrtant, c’est objectivement ce que je pense de mon pays.

Kira n’avait pas l’habitude de mentir, encore moins de déformer la réalité, et Sun avait dû s’en rendre compte depuis le début de leur conversation. Il pensait sincèrement ce qu’il venait de dire sur son pays et son avis ne changerait jamais ; il savait qu’il ne trouverait pas mieux que la beauté froide des terres encore partiellement vierges russes. Néanmoins, son esprit n’était pas obtus au point de vouer un "amour" exclusif à la Russie. Maintenant qu’il était à Boston, il tenterait d’apprécier les mentalités, les paysages, les personnes qu’il croiserait, comme il l’avait fait en Russie et comme il était capable de le reproduire n’importe où.

_ Je te rremerrcie Sun, au fait.

La demoiselle n’allait sûrement pas comprendre pourquoi Kira venait de la remercier, et c’était somme toute assez logique, mais il tenait à lui dire, même si cela devait rester abstrait. Dans le fond, sa reconnaissance était surtout due au fait qu’elle venait de lui permettre de stopper une énième crise. Mais c’était aussi une manière d’exprimer son contentement, et pour le coup, il était au maximum de ses possibilités. Comme quoi, même les émotions vives ne l’aidaient pas à être plus expressif ni plus chaleureux…

La remarque de Sun plut à Kira, elle n’avait pas seulement voulu changer de sujet, elle s’était vraiment intéressée à ce qu’il venait de lui dire. Peut-être même que, grâce à ça, elle aurait envie de découvrir par elle-même cette belle Russie. Et il pourrait même devenir un très bon guide, tant il connaissait les endroits somptueux devant lesquels il pouvait rester béat pendant des heures, que les lieux un peu moins fréquentables qu’il fallait pour le moins éviter.
Alors que la demoiselle semblait vouloir obtenir une réponse à propos du remerciement de Kira, ce dernier ne se sentit pas vraiment la force de lui expliquer de manière précise. En effet, s’il avait été parfaitement concis, il était évident que Sun aurait eu des révélations un peu gênantes, et pas tant pour elle que pour lui. Comme il l’avait précisé auparavant, il n’aimait pas trop les débordements de tendresse et, dans le cas présent, ça paraissait quand même inévitable, peu importe la façon dont il allait aborder les choses.
Et puis, elle poursuivit sur sa propre vie ; ainsi donc, elle était née à New York et y avait toujours vécu. Kira était loin d’imaginer que cette jolie demoiselle puisse être une pure citadine, notamment à cause de ses origines asiatiques. Il avait plutôt fait l’hypothèse qu’elle était une fervente adepte de la nature et d’une vie paisible.
En y réfléchissant d’un peu plus près, il savait pertinemment qu’il n’aurait pas pu vivre dans une ville aussi vaste que New York, tout allait beaucoup trop vite, les gens ne prenaient pas le temps de vivre. Il n’avait rien contre le dynamisme mais il savait que c’était presque vital de se ressourcer dans un endroit plus calme, de temps à autre. Un peu comme il avait prévu de le faire, dans quelques mois peut-être, si la Russie lui manquait trop, s’il avait besoin de retrouver ses repères. En tout cas, la façon dont Sun parlait de sa ville natale donnait presque autant de la visiter que de la fuir. Le froid paraissait attractif mais une ville qui ne dort jamais n’est pas franchement un signe de sécurité.

_ On irra peut-êtrre un jourr ensemble en Rrussie si tu veux, et ensuite tu m’emmènerras chez toi, à New York.

Effectivement, s’il était bien accompagné, tout ceci deviendrait plus rassurant et plus attrayant. Sans doute que sillonner les rues de New York, aussi vivantes et mouvementées soient-elles, en étant seul offre le même sentiment de vacuité que dans n’importe quelle autre ville. Et malgré tout, Kira avait la sensation que, justement, ce n’était pas une mégapole ordinaire.
Après cette brève intervention, durant laquelle il n’avait pas oublié la précédente question de Sun, il continua de réfléchir un instant. Il ne savait pas vraiment comment elle allait le prendre mais ce n’était pas réellement ça le plus gênant, c’était surtout ce qui allait suivre. En fait, les blancs qui suivent ce genre d’intervention étaient fortement capables d’être à la source d’une nouvelle crise pour Kira. C’est un peu pour ça qu’il hésitait à aborder le sujet, et c’était surtout pour ça qu’il était la plupart du temps assez réservé sur ses sentiments. En l’absence de "menace" de créer une boule de feu, certes mineure mais une boule de feu quand même, il aurait peut-être pu être un peu plus expansif. Mais là…

_ Je… Si je t’ai rremerrciée, c’est avant tout parrce que… Tu es quelqu’un d’agrréable, et je ne rregrrette pas d’avoirr frrappé à ta porrte. J’avais juste un peu "peurr" de me rretrouverr seul en arrrivant ici, et heurreusement ce n’est plus le cas.

Il sentit ses joues rosir et le bout de ses doigts devenir étonnamment chaud mais pour le moment, il n’y avait aucun danger potentiel. Il suffisait juste qu’il ne pense plus à ce qu’il venait de dire et qu’il accueille avec la plus grande sérénité la réponse que Sun allait lui fournir. Mais c’était plus facile à dire qu’à réaliser…