[Jour de l'An] Toilettes pour un mal-être

(Vient du bar.)

Sinead se précipita dans les toilettes dès qu'elle fût partie du bar. Au moins, pendant qu'elle s'y dirigeait, elle ne pensait plus à ces paroles blessantes... pourtant, ses larmes ne se tarissaient pas. Elles s'écoulaient toujours, lentement, mais inéluctablement.
Elle arriva enfin dans les toilettes, vides. Elle s'appuya contre le rebord d'un robinet. Evacuer ces pensées... ne penser plus à rien... Ce qui était impossible, et toujours revenait le mot.

Inhumaine

Mais peut-être est-ce que ce n'était pas le mot qui le blessait tant, que de savoir, intimement, profondément, que c'était la réponse à la question de sa mère. Comme si la question en elle-même n'avait pas suffi ! Il avait fallu une réponse ; et encore, la réponse, qui n'était qu'un mot, n'était pas si forte que la question.
Trahie et désespérée, Sinead essayait d'oublier. Elle tremblait nerveusement, et regarda son reflet - qu'aussitôt, elle évita. Le mot revenait toujours.
Aussi, pourquoi est-ce qu'elle y avait cru ? Un espoir, l'Institut ? Sans doute pas... après tout, personne encore n'avait rien pu faire pour elle. Et puis, méritait-elle l'attention désirée ? Après tout, elle savait qu'elle était inhumaine. Pourtant, la mutante désirait tout de même de l'attention. Et ça, c'était trop demander ?! Et qu'on ne lui dît pas qu'elle n'avait pas essayé ; elle avait essayé ! Ce soir même, avec Ambre. Et même, plus qu'essayé : "réussi", mais quoiqu'elle fît, elle revenait toujours à ses problèmes ; elle était constamment énervée. C'était physique bien plus que psychique. Et d'ailleurs, c'était bien par son "physique" qu'elle était inhumaine.
Toujours debout, Sinead aurait voulu vomir. Rejeter tout ce mal-être ailleurs, l'expulser hors de son corps, faire le combat, la révolution, contre soi-même, être libre. Pourquoi est-ce qu'elle n'y arrivait pas ? Elle pleurait bien assez pourtant. D'un geste machinal, elle essuya ses larmes et couvrit son visage de ses mains, se laissant tomber par terre, dos au mur.
Elle ne demandait presque rien, pourtant. Juste un peu de chaleur dans ses (sic) ténèbres, à défaut de lumière. De la vie auprès d'elle, quand bien même elle dirait le contraire. Tout le reste, ça ne lui importait pas, tant qu'elle pourrait sentir une chaleur dans les ténèbres. Mais ça... c'était trop demander...
Sur le sol du Saturday Night, la mutante pleurait sans retenue sa différence.

Yasha ne savait pas trop pourquoi elle se sentait concernée par ce qui arrivait à une parfaite étrangère, même mutante. Elle ne savait même pas comment elle pourrait l'aider. Elle n'y avait pas réfléchi. Elle ne réfléchissait pas beaucoup. Elle se contentait de suivre son instinct premier. Qui ne la trompait presque jamais. Presque. De toutes façons, ça n'était pas le moment de se poser des questions existentielles : elle était entrée dans les toilettes.

Sinead gisait sur le sol. Qu'est-ce qu'elle devait faire maintenant ? Elle ne savait plus.... Est-ce que la brune pleurait ? Yasha ne pouvait pas voir son visage mais son attitude générale... Cette position recroquevillée sur soit, presque foetale... Elle exprimait quelque chose qu'elle connaissait. Un cri qui venait de la nuit des temps. "Ne me fais pas de mal. Aide-moi. Aime-moi." Des souvenirs lui revenaient à l'esprit, comme des bulles de savon éclatant une à une. Les enfants dans les maisons d'accueil. Pleurant dans leurs chambres. S'isolant dans leurs mondes. Les autres fous à l'asile. Ils ne pleuraient pas, eux. Ils fixaient juste le mur en face d'eux, ou le plafond. Ils attendaient, genoux repliés contre eux, que quelqu'un vienne les enlacer pour les réconforter. Elle-même. Dans un angle de la cave. Réduite au rang d'animal traqué.

Un puissant élan de compassion envahit l'albinos, et la souleva, lui faisant franchir la barrière de son indifférence et de son appréhension pour la forcer à tenter une nouvelle fois de se rapprocher d'un autre être vivant. Le soulier vernis de Yasha glissa légèrement... et elle fit un pas en avant, les volants de dentelle de sa robe de poupée battant doucement ses mollets. Nouveau pas, tout doucement ponctué d'un mot hésitant.

"Mademoiselle..."

Elle n'ajouta rien de plus. Parler était difficile. Il lui manquait trop de vocabulaire pour qu'elle puisse exprimer sa pensée oralement. Et elle savait à quel point la meilleure intention du monde se flétrissait pour devenir terne et fade dès qu'elle tentait de mettre les mots dans sa bouche. Non, elle n'ajouta rien de plus, laissa l'aura de silence qui l'entourait habituellement reprendre ses droits. Elle s'accroupit pour se mettre au niveau de Sinead. Tira de sa manche un mouchoir de tissu aussi immaculé que ses cheveux. Le tendit à la mutante. Elle ne savait pas quoi faire d'autre, elle n'arrivait pas à surmonter sa peur des contacts physiques, n'osait pas la toucher. En espérant que ce petit geste tout simple serait interprété dans le bon sens...

Sinead avait à peine remarqué la présence de Yasha. La mutante pleurait encore, et ses larmes semblaient intarissables.
Oh, elle sentit bien une présence, mais elle ne leva pas la tête pour regarder. Elle n'avait même plus honte. Que vaut la honte d'une inhumaine, après tout !? Elle ne voulait pas s'arrêter de pleurer ; au moins, pendant ce temps, elle ne pensait plus.
Et puis, de toutes façons, qu'importait les gens qui passeraient !? Ils allaient simplement la voir, peut-être s'en aller, ou faire semblant de ne pas la voir... l'hypocrisie des gens, leur apathie peut-être, semblait parfois sans borne.
Ah ! et c'était elle, l'inhumaine ? Bien sûr ! Après tout, c'était bien elle...
Un "pouvoir" un don de Dieu peut-être ? Ah ! oui, mais c'en était un injuste. Mais qui s'en souciait, après tout !? Qui s'intéressait à elle !? Personne, absolument personne.

- Mademoiselle...

Elle leva vers yeux en pleurs vers Yasha - qu'elle n'avait pas remarquée dans la salle plus tôt -, lui jetant un regard surpris, haineux, apeuré, implorant. L'albinisme de Yasha la surprit, mais elle connaissait la maladie, et y songea aussitôt.
La jeune fille était sans défenses ; et ce fut une chose heureuse que Yasha ne lui dit que ce simple mot.
Chez les bêtes blessées, la consolation passe plus à travers la chaleur du corps qu'à celui des mots - et Sinead, en cet instant, était blessée à la manière d'une bête. C'était peut-être une blessure du coeur ; mais elle ressentait cela si vivement que ce ne pouvait être que physique.
Ses larmes coulaient toujours ; elle regarda Yasha s'accroupir, pour lui donner un mouchoir. Elle le prit sans mot dire, et s'essuya simplement les yeux avec. Malgré cela, elle pleurait encore, traversée de soubresauts puissants. Mais ce geste, ce simple geste, que personne encore n'avait eu pour elle, la réconforta.
La jeune fille aurait voulu sourire, mais le corps l'emportant sur l'esprit, elle grimaça, continuant de pleurer.
Ainsi passèrent quelques minutes, dans un silence qui n'était troublé que par les sanglots, de plus en plus faibles et espacés. Sa blessure, vive, s'était vite guérie avec les soins adaptés. Il n'en restait maintenant plus que quelques pleurs, qui venaient plus de l'élan des larmes que de sa tristesse.
Elle dévisagea la mutante. A vrai dire, elle n'était pas vraiment en état de se faire une quelconque réflexion sur la nature, bonne ou mauvaise, du physique de Yasha. De toutes façons, pour elle, en cet instant, Yasha représentait une personne qui était là. Pour elle.
Il lui sembla qu'elle devait dire quelque chose. Rompre ce silence, dans le rythme de leur discussion. Alors, sa voix brisée s'éleva, faible :

- Merci...

Gênée, elle laissa un moment de suspens dans sa phrase. Elle se releva, et fuit le regard de Yasha. S'arrêtant sur le miroir, elle remarqua ses yeux rougis, et détourna encore une fois son regard. Elle ajouta juste spontanément, mais d'une voix toujours aussi peu assurée :

- Je suis désolée...

Yasha avait vu les pleurs de Sinead décroître peu à peu... Et en avait tiré... une certaine fierté. Elle était réellement une handicapée sociale après tout. Elle ne savait pas comment se comporter avec les gens, l'amour familial était un mystère pour elle, elle ne comprenait pas les éclats de rire ni les crises de larmes, et tant d'autres choses, et cette peur, cette peur qui la rongeait de l'intérieur. Peur d'être trahie, peur d'être blessée, peur d'être déçue, peur d'être touchée, peur de vivre. Et malgré toutes ces tares, il semblait que, dans la mesure de ses faibles moyens, elle avait été capable d'aider quelqu'un. Elle avait été capable de donner. Et son psychiatre lui avait expliquer que c'était bien. Elle était une gentille fille. C'était bien.

Elle n'avait tout de même pas osé poser la main sur la brune. Même si c'était une femme, même si c'était apparemment une mutante... Elle ne pouvait pas le faire. Pas encore. Il faudrait du temps et de la patience, d'autant plus que le premier regard que Sinead lui avait jeté lui avait un peu fait peur, elle était si craintive... En attendant, elle se contentait d'être là. Ça n'était pas grand chose, mais au milieu du désespoir, pouvoir se dire qu'on n'est pas seul... c'est déjà un réconfort. Même quand la personne qui est là pour vous donner ce réconfort est une albinos à penchant psychopathe et misanthrope.

Quand la jeune femme se redressa, elle se redressa à son tour. Elle la regardait toujours de ses yeux pâles, en silence. Un silence et des yeux qui n'exprimaient rien, pas plus en tout cas que si elle avait considéré un mur ou une table. Elle ne jugeait pas, ne s'interrogeait pas. Tout ce qu'elle avait compris, c'était que cette femme était mutante. Et par conséquent, elle lui apportait son aide. Bien sûr, si elle avait su qu'elle faisait partie de l'institut Xavier, les choses auraient été un peu différentes. Mais après tout, elle n'avait jamais été l'adversaire de l'Institut, et n'avait donc pas de raisons particulières d'en vouloir à qui que ce soit.

"Merci... Je suis désolée..."

Yasha pencha la tête sur le côté. Désolée de quoi ? Elle n'avait rien fait... Finalement les recoins de son cerveau lui firent entrevoir la réponse. Elle était désolée d'être triste ?

"Non... Les gens qui disent des choses méchantes... Ne sont pas des bonnes personnes."

Les mots sortaient avec difficultés de sa bouche. Son vocabulaire simple, sa voix rauque, et cette espèce d'accent indéfinissable... La plupart des gens pensaient qu'elle était étrangère. Et pourtant, elle avait grandi dans ce pays...

"Et l'humain est vil..."

Elle retroussa brièvement sa manche, exposant sa peau couturée de cicatrices, puis haussa les épaules. Pour elle, ça voulait tout dire.

Elle avait arrêté de pleurer. Oui, c'était mieux ainsi... l'albinos l'écoutait, ou l'avait écouté, plutôt. Et qui lui répondit, d'une voix impressionante, d'un ton qui était, lui, surprenant.

- Non... Les gens qui disent des choses méchantes... Ne sont pas des bonnes personnes.

La phrase la marqua. Pourquoi ? Peut-être que les mots, qui paraissaient enfantins, elle les approuvait. Parce qu'elle pensait qu'ils étaient justes.
En même temps, parce qu'elle savait qu'elle disait des "choses méchantes." Elle eut un pincement au coeur à cette idée.
Etait-elle une... mauvaise personne ? Non, elle ne pouvait pas. Mais son esprit disait non quand sa culpabiilté disait oui.
La voix rauque de Yasha résonna à nouveau dans les toilettes. Ses paroles étaient étranges, surprenantes.

- Et l'humain est vil...

Le geste qu'elle y mêla fit river les yeux de Sinéad sur la peau de la mutante.
Un "ah" étonné, apeuré peut-être, franchit ses lèvres, tandis qu'elle couvrait de sa main sa bouche.

- Qu'est-ce qui... commença-t-elle, mais les mots moururent dans sa gorge.

Demander qui, ou pourquoi, avait fait ça ? Qu'est-ce qui s'était passé ? Mais est-ce qu'elle voulait vraiment le savoir ? Et est-ce que ça ne la dérangerait pas, qu'elle lui posât cette question ?
Ne sachant que dire, Sinéad prit le parti de ne rien dire. Elle avait fini de pleurer, maintenant. Ca allait mieux... peut-être qu'il était parfois bon de "craquer"...
Oui, craquer, contre toute cette société, ces gens indifférents. Ses parents insoucieux du sort de leur fille. Si on lui disait maintenant que Yasha était "asociale", elle penserait bien que les asociaux sont plus sociaux, justement, que les autres personnes. Toute une apathie citadine, affreuse sans doute. On ne discute pas avec autrui. On ne dit rien. On se tait.
En tous cas, maintenant, elle ne pouvait plus rester silencieuse. Dire quelque chose... mais quoi ? Une solution simple, presque primitive, vint à elle : elle se nomma.

- Je... je m'appelle Sinéad. Sinéad... O'Hegarty.

Elle pensa vaguement que les toilettes n'étaient pas un lieu très approprié pour discuter. Aussi, elle rajouta, spontanément :

- Vous ne voulez pas... sortir ?... Je veux dire, ailleurs que les... toilettes.

Enfin, l'importance était faible, mais ce serait mieux comme cela. En tous cas, elle regardait Yasha avec attention, peut-être avec un certain malaise. Premièrement, c'était une inconnue qui venait de la consoler. Deuxièmement, elle était albinos. Enfin, ses paroles, ses expressions, étaient surprenantes, presque dérangeantes.
Mais peu lui importait, à vrai dire... pour elle, Yasha restait avant tout une personne qui était venue la consoler ; un geste simple, une grande signification.
Un peu de chaleur dans ses ténèbres.

(Je suis Yasha si elle part ! ^^ Enfin, je pense. -- Yasha, si tu veux, tu peux poster directement ailleurs. ^^)

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