[Jour de l'An] Jeune femme seule cherche distraction.

Etrangement, il était beaucoup plus frais qu'il ne l'avait prévus, et ce malgré l'heure relativement tardive. Le Saturday était autrement plus bondé que lorsqu'il l'avait quitté, il y avait deux ou trois heures de ça, et un épais nuage de fumée bleutée flottait sous les antiques arcades qui tenaient lieu de plafond au bar. Des dizaines de jeunes gens exaltés et vêtus de costumes tous plus improbables les uns que les autres avaient remplacé les habituels piliers de bar, dans un désordre énergique et fiévreux. Ça s'agitait avec une violence sourde, ça se frôlait lascivement et ça buvait comme des trous. Exaspérant quand on n’était pas dedans, transportant si l'on acceptait de si noyer.

L'atmosphère était lourde et épaisse, mélange de sueur et de vapeur d'alcool, et la musique - ou plutôt le bruit un poil trop électro pour le charmer - tendait à accentuer un mal de crâne qui pointait déjà le bout de son nez. Il avait un peu dessoulé, mais c'était l'esprit encore embrumé qu'il avait poussé une deuxième fois la porte du Sat'. La démarche chaloupée, il avait slalomé un peu désemparé entre les tables. Kate l'avait lâché lorsqu'il avait voulu s'asseoir au bar et avait disparu dans les chiottes avec un blond décoloré qu'il ne parvenait pas à remettre. Une fois seul, il était très vite rentré dans la peau du personnage, avec une certaine aisance d'ailleurs, chose qui l'avait quelque peu surpris. C'était drôle. Un peu étrange certes, mais absolument tripant. Et puis, son pouvoir aidant, on y voyait que du feu.

Le barman qui lui avait servi sa bière avait lorgné sans discrétion aucune la naissance d'une poitrine qui n'existait que dans son imagination et dans celle de Duncan. Il avait badiné avec un joli mec qui avait insisté pour lui offrir une clope et une nana en tenue flashy lui avait demandé de quoi se remaquiller.

Le déguisement n'était pas parfait. Mais la finesse de corps et la pureté du visage du tout jeune adulte contribuaient à entretenir l'illusion. Il avait cette séduction un peu étrange que confère l’incertitude, et un charme androgyne assez dérangeant. Il avait moins l’air d’un mec grimé en nana que le contraire, et c’était cela certainement qui faisait la réussite de son déguisement.

C’était une idée de Kate. Ou peut-être était-elle de lui, il ne savait plus bien. L’important était que cela lui avait plu, tant par le côté « provocation gratuite » que par l’immersion absolue que cela représentait. Il n’était pas seulement sapé comme une fille : les gens le prenaient pour une fille.

Il avait rencontré Kate trois semaines plus tôt. Simple coup d’un soir, elle lui avait présenté tout ce que le quartier comptait de jeunes gens oisifs dont les moralités douteuses profitaient aux combines du mutant. Ils s’étaient revus depuis, avaient couché quelquefois, s’étaient saoulés plus souvent. Aussi, lorsqu’elle l’avait ramassé devant le bar pour le traîner chez elle au milieu d’une bande de joyeux fêtards imbibés, Duncan n’avait émis aucune protestation. Et, plus tard, en mal de déguisement – critère obligatoire pour réentrer dans la boîte – c’était sur sa garde-robe qu’il s’était rabattu.

Jean étroit, bottes vintages, un pull qui laissait entrevoir ses clavicules délicates sous une veste longue aux plis soigneusement étudiés pour donner l’illusion de rondeurs inexistantes, Duncan avait poussé le vice jusqu’au sac à main en cuir. Qui contenait – faute de goût burlesque – le ripper argenté qui prenait habituellement place dans une poche intérieure de son blouson en cuir. Yeux charbonneux, lèvres maquillées, il avait également abandonné sa tignasse de cheveux noir aux mains de la jeune fille qui, à coup de ciseaux et de séchoir, leur avait donné un volume et une tenue plus avenants. Au point que, grisée par la transformation frappante de réalisme, Kate avait tenu à lui rouler des patins à chaque coin de rues, sous l’œil offusqué des passants.

C’était donc quasi certain de ne pas être reconnu et l’esprit embrumé par l’alcool que Duncan s’était installé au bar. Appuyé négligemment contre le comptoir, il fumait avec élégance une cigarette à moitié consumée, cherchant du regard un compagnon quel qu’il soit susceptible de le tirer de l’ennui dans lequel il était désespérément plongé.




[Libre]

Duncan observait d’un œil vide et morne l’avorton qui se dandinait sur la scène. Spectacle qui semblait mettre une partie de la gente féminine en pâmoison mais qui laissait absolument de glace le jeune anglais : si la musique n’était pas trop mauvaise, les geignements énamourés de la blonde idole lui vrillaient les oreilles d’une insupportable manière.

Il vida sa bière au goulot, d’un flegme qu’accentuaient un début de fatigue et un esprit quelques peu embrumé par l’alcool. Le menton calé dans la main, le coude sur le comptoir, la séduisante jeune femme qu’il semblait être papillonnaient des cils avec une légère apathie. Duncan se rendit compte avec quelques surprises que s’il commençait à avoir faim, il languissait surtout, plongé qu’il était dans l’ennui et l’indolence.

L’apparition soudaine d’une mignonne en petite tenue qui virevoltait avec allégresse au son cristallins de bijoux qui s’entrechoquent, le tira brutalement de sa léthargie. La demoiselle avait surgi dans son champ de vision, ses cheveux couleur feu dansant autour d’un visage qui ne lui était pas totalement inconnu. En vérité, Duncan mit quelques secondes à reconnaître dans l’aimable adolescente, sa très chère collègue confrériste qu’il avait affectueusement surnommé la Furie – et ce à juste titre, tant la demoiselle pouvait s’avérer indocile. Le mutant jugea d’ailleurs que, en plus de mettre en valeur un corps des plus agréables bien que possédant encore de nombreux traits adolescents, le déguisement de Tsipora s’accordait à merveille avec le côté tour à tour sauvage et insouciant de la jeune rouquine.

Mais contrairement à lui, l’adolescente ne l’avait pas le moins du monde reconnu, si l’on en croyait du moins l’éclatant sourire qu’elle venait de lui réserver. Et ne décelant aucune lueur d’incrédulité ou de défiance dans le regard franc de la demoiselle, Duncan conclut plaisamment que la gitane n’avait même pas décelé la supercherie de son costume. « Je pensais que tu savais reconnaître une femme quand tu en voyais une ! » Mais de qui se moquait-on ? Haha.

Un sourire espiègle joua un instant sur les lèvres du joli travesti et ses yeux pervenche pétillèrent de malice. D’un effort mental quasi inexistant il s’incrusta dans le système nerveux de son interlocutrice et, d’une manière à peine perceptible, s’employa à moduler le son de sa propre voix que Tsipora perçut ainsi un peu moins grave, juste voilée et rauque d’avoir trop crié.

« Si vos prédictions sont plaisantes, c’est moi qui vous paye un verre, petite bohémienne. »

Suave d’avoir un peu trop but, le ton du jeune homme était dépourvu de toute trace d’ironie, teinté seulement d’une douce langueur qui le rendait presque aimable si ce n’est attendrissant.

Arrachant une dernière bouffée à son mégot fumant, Duncan l’écrasa contre le goulot humide de sa bouteille de bière vide et lui tendit sa main, paume vers le ciel. Ses longs doigts agiles n’étaient ornés que d’un anneau d’argent patiné par le temps et son poignet délicat de quelques bracelets de fils et de cuir désordonnés.

S’il s’amusait follement du quiproquo, l’impertinent jeune homme éprouvait cependant pour la première une quasi-bienveillance pour la furie rousse. Conséquence de son esprit trouble qui adoucissait considérablement une verve habituellement trop acerbe pour son propre bien.

[HRP : bon, je... squatte... et je viens de là : Les tables.]

Quasiment aveugle, donc, Keela Stormsky s'était retrouvée plus près de la scène que prévue, et frôlait plus qu'elle ne le voulait le tas de furies qu'elle n'appréciait que guère. Et vas-y que j'te marche sur les pieds, et que j'dis pas pardon... Mince, ce qu'elle pouvait détester certains travers pourtant typiquement humains, cela en devenait effrayant.

Derrière ses lunettes, elle ne pouvait voir que des vagues flashs de lumières, mais cela ne suffisait absolument pas pour se déplacer convenablement. D'ailleurs, elle finit par se rendre compte de sa mégarde, et, au-delà de se sentir un peu bête, elle s'énerva avant tout contre elle-même.

Oui, contre elle-même, mais ça, c'était avant que quelqu'un ne la bouscule suffisamment pour qu'elle tombe à terre... Ses lunettes glissèrent de son nez, tombant au milieu de la foule, par chance, aux pieds d'une jeune fille déguisée en bohémienne qui n'était pas -ou pas encore- en train de sautiller sur les verres. Si elle le faisait, elle risquait de se faire engueuler... si Keela s'en rendait compte, bien évidemment.

Il allait sans dire que si déjà, avec ses lunettes, son pouvoir altérait si bien sa vue qu'elle ne voyait pas grand chose, quand le monde devint flou à ses yeux, elle approchait de plus en plus d'une forme de non-voyance plutôt poussée. Alors, non, elle n'était pas enchantée de se retrouver par terre dans cet état là. De plus, ses doigts auparavant simplement meurtris se mirent à saigner plutôt abondamment -de toutes manières, les mains saignent toujours beaucoup-, puisque de nombreux coups qu'elle s'était donnés s'étaient rouverts.

Que se disait-elle il y avait quelques instants ? Ah oui : c'était vraiment, mais alors vraiment une soirée de merde.

Elle cherchait des gens de la Confrérie, en plus, des gens avec qui faire connaissance. Ceci dit, maintenant qu'elle était dans une situation pareille, avec un peu de recul tardif, elle se rendait bien compte que les gens de la Confrérie n'allait pas clamer sur les toits leur appartenance à ce groupe. C'était un fiasco. Elle aurait mieux fait de rester dormir à la Confrérie avec le serviteur so british.

Dream se redressa. Difficilement, car, évidemment, les gens qui l'entouraient étant plus en train de danser qu'autre chose, et donc de la bousculer rapidement, et parce qu'elle avait un équilibre plutôt mal engagé par sa vue qui lui faisait défaut.

Bon sang, ce qu'elle était énervée, maintenant, cela en devenait grave. Elle avait envie d'un couteau, un beau couteau à la lame bien tranchante, encore pure, et à la poignée si assurée qu'elle le tiendrait sans se poser de question. Et elle plongerait ce couteau dans ceux qui ne faisaient absolument pas attention à ce qu'il lui arrivait. L'indifférence. Voilà, c'était cela qui la rendait malade de haine et de rage.

Elle jura entre ses dents. Dream le sentait, elle avait involontairement engagé son pouvoir, qui laissait désormais ses yeux blancs luire faiblement. C'était pas le moment de se faire remarquer. Elle posa sa main sur ses yeux, de toutes manières, cela ne changerait rien à son problème de vue, au point où elle en était.

-Excusez-moi... quelqu'un pourrait me passer mes lunettes ?

La voix un peu haute, pour tenter de se faire entendre, même si elle ne s'adressait à personne en particulier -si, à celui ou à celle qui lui donnerait un coup de main-, Keela essayait de dissimuler son pouvoir qui, malheureusement, s'était mis en marche involontairement et ne demandait qu'à être libéré.

((hrp : les boules, j'ai du retaper mon texte *_* )

Le coeur de Tsipora rata un battement.

Elle avait toujours eu un faible pour les voix féminines rauque. Elle trouvait cela terriblement sensuelle. Yasha aussi avait une voix cassée mais elle était beaucoup moins engageante que la jeune femme qui lui faisait face.
Un rosissement imperceptible colora les joues de l'adolescente. Elle était totalement sous le charme et répondit par un sourire franc. Nul doute que cela n'aurait pas été du tout le cas si elle avait su a qui elle avait réellement affaire.

"Ça marche !"

Pleine d'entrain, elle prit la main tendue, paume dirigée vers le ciel. Un sourire malicieux se dessinait déjà sur ses lèvres et qui lui creusait deux fossettes. Quels boniments allait-elle bien pouvoir sortir. Elle savait que personne n'était dupe, ils étaient la pour s'amuser alors autant jouer le jeu a fond.

Comme une mauvaise comédienne, elle surjouait a fond, a grand renfort de "ooOOH" et "aaAAH", fort hochements de tête qui se voulaient énigmatiques.

"Je vois des choses très très belles....cette ligne la, dit que vous aurez une longue vie. Celle-la, que vous réussirez tout ce que vous ferez, en affaire comme en amour ! Ah Ah Ah, chanceuse !Et la, que vous allez faire des rencontres très interessantes."

Conclut-elle avec un grand sourire, les yeux pétillants.

" et voila ! mes prédictions vous plaisent-elles ? Ai-je mérité mon verre ?"

Du moment qu'elle ne lui offrait pas de la vodka, elle prenait tout. Et puis si elle avait du temps, elle prendrait le temps de manger un petit truc, ce n'était pas en buvant autant qu'elle pouvait qu'elle allait tenir toute la soirée.

Vu que toute son attention était portée vers son interlocutrice et non pas vers le sol, il était presque évident que Tsipora allait écraser les lunettes...crac...

-Excusez-moi... quelqu'un pourrait me passer mes lunettes ?

Le visage de l'adolescente avait tout l'air de la gamine qui avait été prise la main dans le sac. Pourtant ce n'était pas de sa faute...

"Aie...je crois que je viens de faire une gaffe..."

Elle porta son regard sur la propriétaire des lunettes. Une ado comme elle, peut être même un peu plus jeune. Il n'était pas nécessaire d'être une flèche pour se rendre compte qu'elle était aveugle.

"Je suis vraiment vraiment désolée, je ne les avait pas vu...elles sont cassées" dit-elle en lui remettant la paire dans les mains.

Elle ne savait pas comment la fille allait réagir a cela, elle avait déjà l'air bien énervée. En plus, elle s'était blessée et avait les doigts en sang.

"Voila, mettez vous la...je vais voir si je peux trouver quelque chose pour vos doigts et...tiens..."

Tsipora pencha la tête de cote puis s'approcha de la jeune fille. Elle n'avait jamais été très discrète de toute façon, et il y avait tellement de monde qu'on ne risquait pas de faire attention a une gamine qui parlait beaucoup trop...

"Marrant le reflet que font le jeu de lumière dans vos yeux, on dirait qu'ils luisent...enfin, peu importe du moment que vous m'aveuglez pas...je reviens de suite. Vous n'avez qu'a faire connaissance avec la demoiselle que voila. Elle vous dira que je ne fais que de bonnes prédictions ! J'ai dit qu'elle allait faire des rencontres interessantes et vous voila. Si ce n'est pas de la prévoyance ça, je m'épate moi-même...ahlalala ! je reviens et on va tous trinquer !! je veux dire trinquer dans la joie, pas trinquer dans le sens " on va tous morfler". Je vais essayer de trouver des lunettes aussi...au pire je vous passerez les miennes.

Elle avait retrouvé sa bonne humeur et ne s'était même pas rendu compte qu'elle avait babillé sans reprendre son souffle et sans demander si ses interlocutrices avaient l'intention de faire connaissance. De toute façon, elle était déjà a partie a la recherche de pansements et d'une paire de lunettes .

Un sourire alangui naquit sur les lèvres maquillées du joli androgyne. La furie fondait littéralement sous son regard pervenche, chose qui rassurait totalement le jeune anglais sur son irrésistible pouvoir de séduction, qu’il avait craint chancelant au vu de l’antipathie que lui réservait habituellement la rousse adolescente. Celle-ci pépiait d’excitation, d’un babillage allègre qui ne semblait pas avoir de fin. Satisfait de constater la totale réussite des nombreux artifices qui constituaient son déguisement, il se laissa faire, flegmatique. La situation en sera d’autant plus plaisante lorsque le masque tombera.

Penchée sur sa main, une moue de concentration étudiée sur le visage, Tsipora suivait les lignes de sa paume du bout des doigts. Ne lésinant pas sur les effets mystiques, elle se fendit en exclamations émerveillées. La caricature de voyante échevelée était pour le moins réussie et Duncan esquissa un vague sourire amusé. Mais pour dire la vérité, il n’avait guère quitté son état de douce langueur et son humeur versatile tendait présentement vers une félicité tranquille. Aussi, s’il écoutait d’une oreille distraite les folles élucubrations de la petite serveuse, son esprit s’attardait plus sur ses épaules nues et délicates que balayaient des mèches de cheveux couleur feu et sur son décolleté attrayant qui lui offrait une vue plongeante.

Mais la demoiselle ne remarqua rien et Duncan ne lui en laissa pas l’occasion. Il eut un rire clair et répondit, contrefaisant toujours sa voix :

« Je veux bien vous croire. Quoique, pour la longue vie, vous vous avancez un peu trop vu les temps qui courent. » Un sourire indulgent vint adoucir ses propos quelques peu brutaux. Croisant ses jambes minces – il se prenait au jeu – il ajouta, la voix basse : « Mais chose promise, chose due. Un Martini ? »

Le mutant allait apostropher le barman lorsqu’une jeune femme s’adressa à eux. En réalité – Duncan s’en aperçut dès qu’il se tourna vers l’inconnu – elle s’adressait à toute personne susceptible de l’entendre, mais l’exclamation coupable de Tsipora était la preuve qu’elle avait frappé à la bonne porte. Sans s’intéresser le moins du monde à la petite affaire de lunette brisée, le jeune homme se pencha légèrement vers la demoiselle. Brune dans la lumière diffuse, petite et fragile, ses yeux brillaient d’un éclat blanc et ses mains étaient striées de sang. Elle semblait perdue, impuissante et agacée et Duncan eut un imperceptible froncement de sourcil.

Laissant Tsipora prendre les choses en mains, elle et son incomparable babillage qu’il ne parvenait plus guère à trouver épuisant, il l’observa filer dans la foule en virevoltant. Esquissant un soupir vaguement condescendant, le travesti intermittent décida de suivre à la lettre les prédictions farfelues de la rouquine. Des rencontres intéressantes ? Certes. Il était soûl, donc aimable. Il en faisait son affaire.

« Fais gaffe camarade. Tu perds le contrôle. »

La voix voilée de la jeune femme qu’il était sensé être avait pris une consonance désinvolte et un brin impertinente. Si Tsipora n’avait fait que suspecter, Duncan avait immédiatement compris que la jeune aveugle était mutante et mu par de nouvelles – et éphémères – résolutions, il avait pris le parti de l’aider. Il savait – pour l’avoir subi – les effets d’une perte de contrôle et voulait éviter de faire les frais du pouvoir inconnu de la jeune femme.

Il s’apprêtait à saisir son centre nerveux pour une impro incertaine – il n’avait pas l’habitude d’utiliser son pouvoir à ces fins - lorsqu’un brusque changement d’atmosphère glaça le bar. La lumière baissa et la musique effrénée disparut. Une voix masculine et menaçante retentit alors dans le bar tout entier, hurlant un unique ordre, respecté aussitôt par toute l’assemblée d’humains et de mutants, groupe bigarré de joyeux fêtards.

Le discours qui suivit, goguenard et inquiétant, provoqua une vague de murmures et d’exclamation indignées. Bordel, c’était quoi cette merde ? Duncan se désintéressa aussitôt de la nouvelle venue pour chercher des yeux l’homme imposant qui se frayait un chemin dans la foule. Un mutant. Sans aucun doute.

Brutalement dégrisé et mu par un instinct de survie qui ne l’avait guère quitté, le jeune homme plongea sa main dans son sac de cuir – qui lui sembla absolument incongru sur le moment – jusqu’à ce que ses doigts se referment sur le manche patiné de son ripper. Les sens en alerte, il recula lentement pour s’appuyer contre le comptoir, muscles bandés parés à toute éventualité. La vision de la bassiste qui se jetait férocement sur le chanteur écarta immédiatement ses doutes quant à la suite des évènements.

Duncan regretta son verre d’alcool qu’il n’avait même pas eu l’opportunité de commander. Pestant contre cette sombre idiote qu’était Tsipora, il chercha des yeux sa silhouette reconnaissable dans la foule et crut entrapercevoir sa chevelure flamboyante. Sa vague inquiétude le fit grincer des dents. Mais c’est uniquement lorsqu’il vit la grenouille tatouée, ostensiblement armées, se jeter sur la scène, et que la foule eut un mouvement de pure panique, qu’il réalisa l’ampleur du carnage qu’avait mijoté le Comte.

Ils étaient dans la merde, certes. Mais Duncan ne parvenait pas à paniquer.

La salle principale du Saturday Night, boîte connue s’il en est pour sa grande fréquentation mutante et pour les nombreuses rixes violentes dont elle était le théâtre, avait présentement tout du champ de bataille. La foule se piétinait avec l’égoïsme bestial qu'excitait l’instinct de survie, fuyant avec cris et désordre par les portes du bar. La panique aidant, la salle ne se vidait que lentement et les corps blessés par la férocités mutante ou étouffés par une fuite trop précipitée jonchaient le sol. Un vrai bordel. Les manifestations de pouvoirs mutants étaient omniprésentes et il était absolument impensables qu’elles passent inaperçues. Les flics n’allaient pas tarder à rappliquer sec.

Un vent dévastateur soufflait dans la salle, et nombreux étaient les objets contendants qui s’écrasaient contre les murs, fauchant au passage les plus malchanceux. On se battait dans les coins, ça s’étripait entre mutants dans la pagaille la plus totale. Sans soucis de camps – Duncan avait aperçu deux confréristes qui se tapaient dessus avec rage – ou pitié aucune, une quinzaine de mutos semblaient avoir répondu à l’appel de l’étrange italien. Sous influence mentale ? Le jeune homme n’en avait aucune idée, et s’en foutait absolument à cet instant précis.

La gamine aveugle avait également pris part au carnage. Aidée de son pouvoir peu commun, elle avait fait apparaître une énorme main démoniaque au plafond qui, bien qu’elle semblait inoffensive, ajouta à la terreur et au chaos qui régnait dans la pièce. Duncan ne s’en occupa pas. Campé sur ses jambes, ripper au clair, il cherchait un moyen de filer à l’anglaise.

La scène semblait être le théâtre de la bataille centrale. Outre Kenjiss, reconnaissable à sa face tatouée et la rage bestiale qui l’animait, une énorme brute s’en donnait à cœur joie avec une violence inouïe. Franchement atterrant. Tous les efforts des mutants présents semblaient consister à rejoindre cet endroit surélevé, pour défendre des compagnons ou se lancer dans la mêlée. La prudence commanda donc au travesti de s’en éloigner le plus vivement possible.

" Sans rancune, hein ?"

Le joli anglais fit volte-face, reconnaissant et la voix et la tignasse rousse de l’adolescente qu’il pensait perdue dans la foule. Mais l’ombre du sourire qui avait joué un instant sur ses lèvres ne tarda pas à disparaître. Duncan déchanta : ce n’était plus l’espiègle furie qu’il prenait plaisir à railler, mais une démente possédée qui brandissait un couteau de boucher. L’expression de cruauté qui ornait son visage lui était si incongrue et si inhabituelle que le jeune homme douta un court instant de son identité. Mais non. C’était indubitablement Tsipora qui menaçait de l’embrocher, et la joie que lui procurait cet acte semblait si sincère que Duncan retint un frémissement désagréable. Putain.

« Tout doux ma belle. Tu ferais bien de poser ce truc… »

Mentat allait le réduire à l’état de légume s’il osait porter la main sur sa chère et tendre. Duncan actionna son ripper, n’ayant cependant aucune réelle envie de s’en servir – éventrer une adolescente, très peu pour lui. Connaissant le pouvoir de la confrériste - il en avait fait les frais quelques heures auparavant - il savait qu’il serait foutu dès lors qu’elle réussirait à ne serait-ce que l’érafler. Aussi, c’est sans aucun scrupule qu’il saisit son centre nerveux et entreprit d’annihiler en masse les informations visuelles que recevait le cerveau de Tsipora.

Le souffle de l’explosion, puant de nicotine, le projeta contre le comptoir avant qu’il n’ait pu mener cette action à bien. Le choc lui arracha un piaulement de douleur qu’il n’entendit pas lui-même dans le vacarme qu’avait provoqué la fuite du Comte et de ses acolytes. Sonné par la déflagration et la douleur qui lui sciait l’épaule et martelait son crâne, il demeura prostré sur le sol.

Lorsque, clignant des paupières avec acharnement, il se réhabitua à la semi-obscurité qui régnait dans le bar, il fut surpris par le calme oppressant qui y régnait. Tsipora avait disparu. La plupart des mutants également. On ne se battait plus, et seules les plaintes des blessés venaient encore troubler le silence, perdues dans le nuage de poussière et de fumée qui épaississait l’atmosphère et agressait sa gorge.

Duncan se releva avec difficulté, manquant de trébucher sur sa cheville cramée qui l'élançait à nouveau. Il grogna. Si l'année qui s'annonçait était à l'image de cette soirée, il allait s'éclater.