Chambre

Evan n'esquissa pas un mouvement lorsque il entendit le verrou de la porte de la salle de bain cliqueter. Ni d'ailleurs lorsque Ashern entra dans la chambre, les cheveux encore humide. Paupières toujours closes, Evan fit le mort. Appuyé contre le mur, sur son oreille, affalé sur son lit, il suivit, ou plutôt devina, la progression du jeune homme à l'oreille. Le faible gémissement d'un matelas lui apprit que le coloc' était aussi élégant que lui dans sa fatigue.

Le silence ne se troubla pas. Devenant peut-être même un peu plus pesant. Ashern ne semblait pas vouloir engager une quelconque formes de communications, et Evan ne pouvait pas - et n'avait aucune envie - de lui en vouloir. Mais ce n'était pas dans ses habitudes de rester immobile et silencieux longtemps. Qu'importe les séances d'auto-apitoiement, elles ne duraient jamais bien longtemps. C'était bien assez ennuyeux comme ça pour ne pas ressasser ses problèmes éternellement.

Quels problèmes avait-il d'ailleurs ? Il était sortit de prison. Il avait un endroit ou dormir - une chambre avec un lit, précision importante - et il avait même réussi à se faire un peu d'argent en traînant dehors. Vie parfaite donc. Si on occultait qu'il était tombé dans un drôle d'endroit, que son colocataire avait assez de sang-froid - jeu de mot de très mauvais goût - pour empaler vif plusieurs représentants des forces de l'ordre - noter aussi l'étrange scène du garage que le jeune homme ne parvenait toujours pas à s'expliquer - et qu'enfin il y avait un truc monstre qui clochait. Et il n'arrivait pas à mettre doigts de dessus.

Comme d'ailleurs ce blocage qui semblait devenir habituel avec son pouvoir. Passé une certaine profondeur il n'agissait plus. Oh, son 'don' n'avait jamais été très développé... Peut-être cela venait-il du fait que, contrairement à la plupart des mutants - il ne le possédait pas de naissance, et qu'il s'était greffé tard à son code génétique. Chose aussi impossible qu'improbable et pourtant...

Evan ouvrit les yeux et laissa échapper un grognement, hésitant entre nervosité et frustration. Il jeta un coup d'oeil au lit voisin. Ashern, affalé sur sa couverture et la tête dans l'oreiller semblait épuisé. Pas franchement étonnant.

Evan eut soudain très envie de dire une connerie. Ce qu'il faisait habituellement très bien. Mais rien ne venait. La plupart risquant de dépasser immédiatement la côte de résistance du coloc' qui semblait s'être réduite à néant. Et il n'avait pas particulièrement envie que ça dégénère comme toute à l'heure. Mais il fallait qu'il dise quelque chose. Attitude très puérile certes. Mais il fallait bien occuper son temps. Pour éviter de réfléchir. Lâche dirait-on. Mais il n'avait jamais prétendu faire face.

"T'as finalement réussi à marcher tout seul ? Tu récupère plutôt vite..."

Plus moqueur qu'apréciateur. Mais le sarcasme se faisait pourtant à peine sentir. Curiosité innocente. Tout au plus.

Evidemment, le coloc' ne mit pas lontemps à l'ouvrir pour faire part de sa présence. C'était vraiment inévitable apparement. Evan coupa donc ses pensées et sa contemplation du plafond. Ashern tourna lentement sa tête pour poser son regard sur le blondinet. Un regard las, un regard fatigué ...

"C'était toi le dernier à sortir du garages p'tit malin ... Ce serait plutot à moi de te poser la question."

Dans un effort titanesque, il redressa la tête pour mieux apercevoir Evan. Bon apparement, il n'avait pas l'air trop bléssé. Pas qu'il en avait quelque chose à faire, mais il ne voulait pas d'ennuis avec Marcus s'il amochait ses protégés ... Trop crevé pour maitenir sa tête en l'air, il la laissa tomber sur l'oreiller.

"Ca va, pas trop de bobos ?"

Avec un sourire plus moqueur que compatissant, il généra une lame de glace qu'il s'amusa à lancer en l'air et a rattraper. Pas nécéssairement pour se divertir, mais plus pour passer le temps. Ouais, passer le temps ...

Evan se redressa d'une poussé et, passant une jambe sous lui, fit nonchalamment face à Ashern. Celui-ci semblait vraiment épuisé. L'ombre d'un sourire plana sur les lèvres du blond lorsque, après avoir relever la tête vers lui, il se laissa retomber, avachis. Il avait encore du s'attirer des ennuis après qu'il est quitté le garage. Pauv' garçon.

"Mais vois-tu, je ne me suis pas effondré en sang. D'ailleurs, je ne me rappelais pas t'avoir aussi amoché."

Derrière la moquerie, la question sous-entendue. Bien qu'Evan eut parié nimporte quoi que le coloc' n'y répondrait pas. Que lui était-il arrivé ? on ne s'évanouissait pas comme-ça, sans signe avant-coureur. Et il n'avait pas oublié le liquide bleuâtre qui s'était mêlé au carmin du sang. Phénomène plus qu'étrange qu'il ne parvenait pas à s'expliquer. décidément, il était drôlement mal tombé.

"Moi ? Non, tout va très bien."

Sourire. Oui. A part un bleu - tirant plus vers le violet sombre tout de même - il s'en tirait à bon compte. surtout après s'être fait attaqué par un mutant... étrange. Car on pouvait difficilement manqué le changement qui s'était opérer dans les yeux d'Ashern alors qu'ils se battaient. Cela avait été bien plus effrayant qu'Evan l'aurait admis, même sous la torture. Un frisson parcourut sa colonne vertébrale à la vision des pupilles rétracter du mutant et de son regard de tueur. Evan ne quitta pas pour autant son léger sourire en coin. Il y avait un truc bizarre chez le coloc'. Et ce n'était pas simplement une question d'asociabilité ou d'agressivité. Mais il avait tout le temps de découvrir ce que c'était.

Bon, comme l'autre zouave n'avait, apparement, pas envie de se taire et de le laisser se reposer, il s'assit le long de son lit, et le fixa, droit dans les yeux. Sa lame tournoyant gaiement en l'air à ce moment là, vint se planter à la verticale dans le sol. Sans détacher son regard du jeune mutant, il fit un bref mouvement de la main et le poignard éclata en petits morceaux, qui ne tardèrent pas à disparaitre. Il mit ses coudes sur ses genoux et prit un air sérieux.

"Peut-être que tu te sous-estime ..."

Ne voulant -pouvant- rien dire sur son état mental ou physique, il se défila par une tirade assez aisée, mais il n'allait pas chercher trop loin non plus. Non, il n'avait pas envie de se prendre la tête. Pas maintenant.
S'il voulait une quelquonque précision, il n'avait qu'a harceler Kenjiss ou Typhanie. Pourquoi fallait-il qu'il se tape un curieux invétéré comme coloc' ? Le monde était désespérant des fois ...
Puis il repensa à son nouveau job. Demain, rentrée des cours, il allait devoir encadrer des jeunes turbulents en manque d'adrénaline ... Il allait les faire courir les mômes. Course de durée ? Athlétisme ? Il ne savait même pas ce qu'ils allaient faire ne cours. Bah, il aura bien un programme qui l'attendra sagement dans son casier, ou un truc dans le genre. Au pire, il improviserait ...

Evan esquissa un bref sourire à la réponse d'Ashern. Il se démerdait bien pour échapper aux questions lui. Mais rien ne résistait à sa curiosité et les secrets d'Ashern, aussi bien gardés soient-ils n'échapperaient pas à la règle. Que le coloc' le veuille ou non. Quoiqu'il ferait bien attention de ne perdre aucune plume dans l'affaire. Ashern n'était pas spécialement conciliant.

Décidant qu'il ne pourrait rien tirer de plus du mutant pour le moment, le blond attrapa la mini-télécommande qui traînait sur sa table de nuit et pressa le bouton. L'écran en face d'eux vacilla un instant avant que l'image d'un homme, la quarantaine, soigné à l'excès et dont le visage rappelait vaguement quelque chose à Evan, fasse son apparition. Evan arqua un sourcil. Un peu tôt pour les informations non ? Mais le ton du présentateur et les divers textes qui défilaient en bas de l'écran lui firent rapidement comprendre que c'était un flash spéciale. Décidément, il se passait beaucoup de chose ici.

'' Bonsoir, nous interrompons nos programmes pour suivre avec vous en direct les récents événements qui ont secoué la ville de Boston. Avec nous notre envoyée spéciale, Betsy Broudley, en direct du Boston Palace... Eh bien, Betsy, la police et l’armée ont tracé un périmètre de sécurité autour de la zone et la foule afflue pour essayer de comprendre ce qui s’est réellement passé ce soir dans la grande salle de réception de l’hôtel. Tout le monde sait bien que devait s’y tenir le très controversé et faussement secret Congrès Annuel des Mutants du Cercle et que d’aucuns appellent, dans les milieux ultraconservateurs, la Grande Parade. Celui-ci s’est hélas terminé dans un massacre sans nom dont les mutants étaient la cible. Alors Betsy, à l’heure actuelle, que savons-nous ? ''

Le ton était posé et sérieux mais les yeux du présentateur rayonnaient. Evan resta de longues secondes silencieux tandis que les images défilaient devant ses yeux. Un massacre ? On massacrait les mutants à présent ? Mais on tombé franchement dans l'idiotie. Et on était loin des petits accrochages qui opposaient avant les normaux - comme disait Ashern - et les mutants.


'' ...ont porté plaintes et demandent que toute la lumière soit faite sur cet horrible massacre. Deux cent morts en quelques minutes...''

Evan jeta la télécommande sur sa couverture, tout en se mordillant machinalement l'intérieur de la joue. Deux cents morts ? Deux cents mutants d'un coup ? Cela n'allait pas arranger les choses. Il détacha son regard de l'écran où le président entamait un discours où il prétendait soutenir les mutants... en les comptant comme du bétail ? Cela devait être ça. Le blond jeta un rapide coup d'oeil à Ashern, devinant que sa réaction à lui, serait plus violente que la sienne. Il semblait un brin plus solidaire à la cause des mutants que lui-même.

Voyant que le coloc' ne répliquait pas, Ashern osait croire à un retour du silence. Le silence ... L'absence de bruits ... Le repos. Mais apparemment, ce ne fut que trop demander à Evan, qui prit la télécommande de la télé et l'alluma promptement. L'espoir fait vivre, disait-on ...
Il n'eut pas le temps de se lamenter davantage que la mélodie répétitive et particulièrement agaçante du JT se faisait entendre ... Chouette. Quoi de neuf ? Un mutant exécuté ? Un autre emprisonné ? Une nouvelle loi contre eux ? Il tourna machinalement la tête vers l'écran où un présentateur d'humeur joviale annonçait un flash spécial de toute la blancheur de ses dents. N'écoutant qu'à moitié, les yeux mi-clos, il fut arraché de sa torpeur par l'annonce du massacre du Boston Palace. Quoi ? A Boston ? Mais le coup de grâce furent les présumé 200 morts. Mutants, bien évidemment ...
Il se leva, ou plutôt bondit de son lit. Les yeux écarquillés, il était attentif au moindre mot, au moindre gestes des différents protagonistes qui se donnaient mutuellement la parole.
Puis ce fut le discours du président.

J’entends la voix des mutants qui s’interrogent sur leur place dans la société et qui souhaitent qu’un tel crime ne reste pas impuni.

"Oh non, ça ne le restera pas ..."

Chaque parcelle de son ête était animée par une haine sans précédent. Chacun de ses muscles étaient contractés, son myocarde s'accéléra, et le sang affluant dans ses veines les gonflait. Toute sa rancoeur, toute sa colère ressortait peu à peu, dans un flot continu.

Afin de mieux cerner les besoins de votre communauté, d’envisager les modalités d’une coopération plus profonde, et d’empêcher que ne se reproduise un événement dramatique comme celui du Boston Palace, Un recensement civil des Mutants va être mis en place. Je conseille dès à présent à toutes personnes âgées de 18 ans et plus, de se rendre au bureau d’état-civil pour se faire enregistrer.

"Mon cul ouais ... Nous "recenser" hein ? Pour mieux nous retrouver après. Va te faire ..."

Il sentait qu'il allait lâcher. Qu'il allait foncer dans les rues sans but, rentrant dans le tas, tuant un peu n'importe qui. S'il ne se calmait pas, il allait entrer dans une folie meurtrière sans précédent ...

*Calm down, bro' ...*
*Vais les buter ... C'est fini la trêve ... Il ne vont même pas me voir venir ...*

Avec un sourire mauvais aux lèvres, il dressait déjà sa liste noire. Maintenant c'était parti, vraiment parti.

Mes chers concitoyens, j’espère avoir répondu à vos attentes.

"Comme si t'étais au courant des nôtres ... Crétin."

Sans attendre une quelconque réaction d'Evan, il se précipita vers la porte, les poings serrés, l'allure déterminée. Marcus, il fallait qu'il voit Marcus. Cette fois, la machine était lancée, plus qu'a voir s'il le soutenait. Rien ne pourra l'en empêcher ... Rien.

La réaction d'Ashern ne déçut pas Evan. Pas qu'elle le ravit non plus. Ashern semblait tout simplement hors de lui. Et l'éclat meurtrier de ses yeux ne lui échappa pas non plus. Il savait - depuis leur précédente discussion, avant l'épisode du garage - qu'Ashern considérait les mutants comme supérieurs aux autres humains. Et s'était évidemment à prévoir que l'idée de vengeance le traverse après le massacre de Boston.

Evan se redressa, sans quitter des yeux le coloc'. Celui-ci, tremblant de rage invectiver rageusement le président qui continuait son discours, parlant de mesures et de recensement. Ce qui ne semblait pas plaire à Ashern. Et ça ne l'emballait pas non plus.

Il observa le jeune homme quitter brutalement la pièce sans pouvoir esquisser un gestes ? Où allait-il ? Bonne question. Mais dans l'état de colère où il était ça allait forcement mal se finir. La violence n'arrangeait rien. Mon cul ouais...

Il plaignait le pauvre gars qui tomberait sur Ashern dans cet état là. après tout il était assez dangereux quand il s'y mettait. Le regard d'Evan se reposa sur l'écran plasma. Avant qu'il ne laisse échapper un grognement. Il ne pouvait tout de même pas rester là, si ? Et puis si ça dégénérait ça lui retomberait à cous sûr sur le dos.

Le blond se leva et enfila ses baskets. Il faisait ça pour le bien des autres confréristes qui risquaient de tomber sur un yéti psychopathe hors de lui. Et pour sa curiosité. Un peu.

Le jeune homme disparut dans le couloir au pas de course, laissant derrière lui le présentateur du JT qui, souriant, continuait à déblatérer.

Ashern entra promptement dans la chambre, et enleva ses affaires tout en se dirigeant vers la salle de bain. Eparpillant ses vetements un peu partout dans la pièce, il se brossa vite fait les dents, trop préssé de s'effondrer sur son lit.
Aussitot pensé, aussitot fait. Dès qu'il eu terminé, il s'affala sans vraiment d'élégance sur son lit. Il ferma petit à petit les yeux et s'endormit, dessus sa couette, en boxer.

[Et voila, je suis à jour]

Le réveil sonna comme un tambour à ses oreilles. Grognant des paroles inaudibles, il se leva difficilement. Encore une mauvaise nuit ...
Il passa vite fait dans la salle de bain et tout en s'habillant, constata qu'il était en retard.

*Et merde ...*

Se dépéchant, il trébucha sur une de ses boots et se ramassa sur le lit du voisin. Se relevant, enfilant ces dernières, il fila de sa chambre, passa par le garages et se dirigea vers le Lycée en Lamborghini.