[-> Hall]
Ananta s'était vu remettre la précieuse carte magnétique qui devait lui ouvrir toutes les portes de l'Institut ou, tout du moins, les plus importantes. Il avait remercié le majordome avec un autre de ses sourires angéliques, un peu plus joué celui-là ; il fallait bien retrouver confiance en soi. Il observa un petit moment la carte magnétique avant de promener son regard dans l'immense vestibule de l'Institut. C'est alors qu'il comprit qu'il avait commis sa première erreur.
Le jeune homme avait en effet oublié de mentionner un petit détail au majordome, à son propos : son manque total de sens de l'orientation. Il s'était perdu dans les rues de Moscou, il s'était perdu dans les rues de Paris, il avait failli se perdre dans les coursives de l'aéroport de Boston, et il se sentait à deux doigts de se perdre dans les couloirs de l'Institut.
* Bon, bon. Du calme. De l'ordre, et de la méthode. *
Le majordome avait pris soin de lui indiquer une direction et le jeune mutant se figura que, peut-être, pourquoi pas, il ne serait pas complètement stupide de la suivre, pour commencer. Fort de cette brillante résolution, il se chargea une nouvelle fois de ses bagages et se mit en route, abordant fièrement l'adversité supposée des mystérieux dédales de l'université.
Finalement, Ananta se retrouva devant une porte qu'il jugea sans difficulté être celle de sa chambre. Il l'ouvrit. A gauche, un sceau servait de foyer un vieux balais un peu défraîchi, sur les étagères en face de lui, des rangées de produits ménagers et, juste en dessous, des tas de chiffons de toutes les couleurs. Il y avait aussi un aspirateur, et le tout était éclairé par une simple ampoule.
Le jeune homme laissa échapper un soupir résigné, puis referma la porte du placard à balais. Force était de constater qu'il était - encore une fois ! - perdu. En plus, il n'avait rien mangé depuis son départ à Paris, et il n'avait qu'une hâte : rentrer dans sa chambre déposer ses affaires et voir si, malgré les propos peu encourageants du majordome, il restait quelque chose à grignoter dans la cuisine.
Motivé par cette noble ambition, il se fit un devoir d'examiner les moindres flèches sur les murs, de comprendre un tant soit peu les plans, bref, de trouver le chemin de son nouveau logis. Vingt minutes plus tard, après être repassé trois fois devant le placard à balais qui commençait à lui devenir familier - mais non point amical - il parvint enfin à trouver sa chambre.
Il passa le carte magnétique dans le lecteur pour qu'un léger tintement lui indique que la voie était libre. Enfin, il pénétrait dans une chambre qu'il avait envie d'appeler sa chambre. Ce n'était pas qu'elle présentât des commodités particulières en rapport aux chambres qu'il avait jusqu'à lors occupées, mais il y venait pour la première fois de son plein gré. Il avait le sentiment de l'avoir choisi, que chaque meuble, chaque recoin était un symbole de son indépendance nouvellement conquise.
Une pression sur l'interrupteur jeta une lumière sur la dite indépendance. Mobilier réduit, mais confortable : rien que d'usuel. Avait-il vraiment besoin de plus, cela dit ? De toute façon, il était dans une humeur telle qu'il se serait satisfait d'un lit de camp, et la chambre était tout de même fort éloignée de ces sommaires extrémités. Il repoussa la porte et traîna victorieusement ses bagages au centre de la pièce.
Poussé par une soudaine ardeur à investir ses quartiers, il se décida à ne manger que plus tard pour effectuer un peu de rangement dans la pièce. Naturellement, il commença pour son violon, déposé sur un meuble de rangement. Il ouvrit sa valise et rangea ses vêtements, son linge de toilette. Enfin, il s'attaqua au sac qui contenait des affaires plus personnelles : livres, musique, photographies, cahiers.
Il rangea avec soin ses livres sur les étagères. Littérature russe, surtout, un peu de littérature française, quelques livres anglais : rien que de classique. Les ouvrages de musique, surtout, occupaient la place, avec des cahiers de partitions. Puis il y avait ses carnets de notes, d'impressions : c'était tel texte rédigé à la hâte, un morceau ébauché en quelques croches.
Alors qu'il rangeait ceux-ci, une photographie s'échappa de l'un d'eux. Il la ramassa pour voir ce qu'elle représentait. Un part de son excitation retomba d'un coup alors qu'il détaillait le décor, les personnages du cliché. Il sentit son cœur serré, l'espace d'un instant il regrettait presque sa décision. Mais il ne fallait pas faillir - ne jamais faillir, ne jamais plier : ne pas être faible.
Ananta dissimula la photographie au fond d'un tiroir. Il prit son lecteur portable de musique et s'arma des écouteurs, persuadé de ne pas trouver grand monde en cette période de fêtes : les gens devaient aller au bar dont avait parlé le majordome. Lui, cependant, avait faim. Accompagné du concerto pour mandoline de Vivaldi, il se mit en route pour la cuisine.
[->Salle à manger]
Dim 4 Nov - 18:12