L'île perso de John et Black Widow

John et Angela posèrent ensemble le pied sur la plage de cette île paradisiaque perdue dans l'archipel du Japon, les yeux emplis de la beauté du ciel qui tirait à présent au rose. L'air était pur et le sable doux ; les vacances des deux tourteraux promettaient d'être extatiques.
L'île était plutôt menue - 7 hectares de plages, d'arbres et de rochers - mais cela suffirait de loin au couple qui allait l'habiter.

Et surtout, cela suffisait largement à cacher le danger qui y régnait depuis si longtemps.

- Je vais explorer les lieux, tel un pionnier de l'exploration. Tu veux venir ?
- Vas-y sans moi, chéri. Je te rejoins plus tard, répondit Angela. Je vais me changer d'abord.

John sourit à sa dulcinée, regardant en même temps le bateau qui les avait déposés s'éloigner sur la mer. Ils étaient désormais seuls, coupés de toute civilisation et pouvaient se livrer à leur passion en toute tranquillité. John, pris d'un soudain élan de concupiscence, dit dans un sourire diamantesque :

- Je crois que je vais t'attendre, en fait. Et aussi, avant d'aller visiter ce paradis sur terre, je vais te faire l'amour sur le sable. Ca me détendra un peu.
- Tu es tendu ? Et à quel niveau de ton anatomie cela se situerait-il, mon cher monsieur ?

Elle lui rendit son sourire, tout aussi éclatant. Décidément, ce séjour allait être mémorable.

Et ils ne se doutaient pas à quel point.

ELLIPSE :

John Bender et Black Widow passèrent deux semaines de rêve dans cette merveilleuse île de la tentation. John construisit la plus grande cabane en bois qu'on puisse imaginer (elle faisait deux étages !), et le climat leur apportait un confort au-delà de l'hôtel le mieux climatisé. Ils auraient voulu rester là pour toujours, mais bien évidemment cela n'était pas possible : Black Widow s'était éloignée de la Justice et devait revenir pour la faire respecter, et John savait qu'il avait le devoir de servir l'Institut : son engagement envers Malicia et son hospitalité le tenait à coeur.

Bref, après deux superbes semaines passées à faire l'amour partout et à pêcher du poisson, Black Widow se confia à John. Elle lui fit part de ses doutes quand à la déserteté de l'île ; parfois elle percevait des ondes mentales qui ne pouvaient être celles d'un animal. Mais John ne le croyait pas, il disait que c'étaient les siennes à lui, qui fluctuaient entre ses sept personnalités différentes. Et elle avait beau comprendre cette interprétation, elle ne la croyait pas. Et cela l'effrayait...

(Ha ha, suspense !)

Elle descendit l'échelle de corde qui menait du lit au rez-de-chaussée et sortit. La marée avait monté, mais elle ne le remarqua pas. Tout ce qu'elle vit était le fameux intrus, à quelques mètres de là, avec ses grands bras, ses yeux profonds, ses dix mètres de cheveux blancs - et malgré tout cela, sa beauté ahurissante. Un sourire énigmatique se dessina sur ses lèvres décharnées, et elle tomba sur le sable, renversée par une vague psychique.

Les yeux écarquillées par la terreur, elle se rendit compte qu'elle pouvait à peine penser. Ce n'était pas sa télépathie à elle qui s'était développée, mais celle de son adversaire qui avait peu à peu englobé la sienne. Il lui avait fait croire qu'il était moins fort qu'elle et elle était tombée dans le panneau. La réponse était toute simple et elle était là, l'écrasant comme une dalle de béton écrase une fourmi. Le seul acte qui lui fut finalement autorisé - après avoir passé des minutes entières dans le berceau bouillant de la délectation de cet inconnu - fut de poser une seule question :

- Qui... Qui es-tu ?

Pour toute réponse, Angela entendit le rire machiavélique de son adversaire ; et ce rire signifiait simultanément : ~ Je suis celui qui t'attendait. Je suis éternel et invincible. Je suis surmutant. ~

Surmutant ? Angela n'avait jamais entendu parler de cela auparavant. Qu'est-ce que cela signifiait ?

Cette pensée fut balayée par un nouveau flux psychique, cette fois bourré d'informations. Le surmutant en question lui faisait la liste de ses pouvoirs. Elle était courte par rapport à ses attentes, mais d'autant plus effrayante. Il disposait de pouvoirs mentaux hors du commun, qui lui avait permis de survivre des milliers d'années sans manger ni dormir ; d'une pensée, il pouvait tuer n'importe qui vivant à la surface de la Terre ; par l'esprit, il réglait en ce moment même le destin de centaines de personnes. Il lisait dans l'avenir et pouvait plier la réalité à sa folie comme bon lui semblait. Mais son plan n'était pas achevé : une fois qu'il aurait absorbé Angela, il s'en prendrait à d'autres personnes bien définies, dont certaines n'étaient pas encore nées. Et quand il aurait &achevé cette longue course dont il était le seul participant, d'ici des millénaires, la terre serait son royaume, et il règnerait sur l'humanité pour toujours.

Ca faisait froid dans le dos, mais pas autant que l'idée de concourir à la réussite inéluctable de ce projet satanique.

*Pourquoi John ne se réveille-t-il pas ? Il devrait déjà avoir calculé dans son sommeil que je suis en danger !*

Mais elle comprit immédiatement pourquoi. Ce troisième habitant - ou plutôt ce premier, devrait-on dire - manipulait l'esprit de John pour l'empêcher de voir ce qui se passait. C'était de la même manière qu'il avait fait en sorte que John ne la croie pas quand elle lui avait parlé de ses craintes.

~ Il y a plus d'un siècle que j'attends, que j'attends ce moment. Que j'attends tu viennes me rejoindre dans mon domaine. Black Widow, je suis ton destin et tu n'as jamais pu y faire quoi que ce soit. ~

Elle se revit aussi choisir au hasard - du moins l'avait-elle cru à ce moment-là - l'île sur la carte que John lui avait montrée. Ce choix aussi avait été influencé par cette créature éternelle. Prise de désespoir, elle supplia mentalement son destin écrit depuis toujours de pouvoir se relever. Il lui accorda cette faveur, et l'autorisa même à pleurer. Mais elle ne pleura pas. Cela serait revenu à accepter sa condition, et il ne pouvait en être ainsi.

Elle vit les yeux du surmutant se rapprocher, et en un instant il fut près d'elle.

~ Fais comme tu l'as toujours fait ! Mords-moi ! Et transmets ! Je suis ta prochaine incarnation ; la Justice prendra un tout nouveau tournant, mais tu la serviras avec tout autant de ferveur quand nous ne serons plus qu'un. Et alors lentement, le monde viendra à nos pieds. ~

Black Widow trembla. Ainsi il avait lu cela aussi, ce qui n'avait rien de surprenant. Maintenant ils étaient deux à connaître le secret de la longévité de Black Widow. Quand elle se faisait vieille, et que son corps ne pouvait plus servir la Justice aussi bien que son esprit le désirait, elle devait mordre quelqu'un, mais d'une autre façon, en lui insufflant sa vie à elle. Et Black Widow prenait place dans ce jeune et nouveau corps, devenant une nouvelle vengeuse. Et il voulait qu'elle fasse cela... Avec lui ?

Malgré elle, et en proie à ce désespoir qui se faisait de plus en plus profond, elle entama le rituel mental qui permettrait le transfert, et qui lui permettrait de disparaître.

John avait entendu Angela se lever ; il l'avait sentie passer avec douceur sa pensée sur lui, et aussi entendue partir, rongée par la détresse. Il avait tenté de se réveiller, mais était obligé de continuer à se battre contre des millions de papillons aux ailes chatoyantes.

Depuis deux heures, dix minutes, onze secondes et des poussières, il tentait de se sortir de là, en partitionnant son esprit pour laisser le rêve se dérouler dans un coin de manière à faire croire à ce puissant mentaliste qu'il dormait encore. Mais à chaque fois qu'il y parvenait, l'autre le rattrapait au collet.

Et enfin il trouva la solution. C'était si évident pour lui qu'il se demanda pourquoi il n'y avait pas pensé avant. Evidemment il n'y pensa pas ouvertement - ou on l'aurait encore pris sur le fait. L'idée était de coder une autre pensée dans sa pensée, d'une manière si complexe que quand l'autre aurait fini de décoder, il serait trop tard. Moins d'une seconde plus tard, il se leva. Le problème de l'astuce qu'il employait était que cela l'empêchait de penser plus vite. Mais il s'en foutait royalement. Angela était en danger et il devait la sauver, c'était tout ce qui comptait.

De quelques coups de poing, il brisa la cloison à l'arrière de la maison pour passer inaperçu. L'effort que lui demandait le codage - et le changement constant de code - était considérable ; il ne pourrait tenir longtemps de cette façon.

*Imbécile ! Tu es éveillé maintenant ! Il ne pourra jamais te rendormir !*

John laissa tomber le code, et il sentit immédiatement une onde psychique tenter de l'envahir. Mais il était tellement en colère qu'il parvint sans peine à absorber l'attaque, qui se perdit dans les arborescences de son esprit. A toute vitesse, il passait de personnalité en personnalité de façon à empêcher l'intrus de le cerner. Passant en Mode Rapide, il attrapa un morceau de bois, qu'il tailla avec les dents à toutes vitesse. Il ne fallait pas énerver John Bender, et quelqu'un allait l'apprendre à ses dépens.

(qu'il taillat avec les dents...John le super Castor???!! lol)

(Mdr, faut croire !)

Il s'avança vers la scène qui non seulement resterait gravée dans sa mémoire comme toutes les autres, mais aussi qui le hanterait pendant encore longtemps. Il faillit lâcher son arme improvisée lorsqu'il vit Angela mordant avec force le cou de la monstruosité à la carrure immense qui finalement existait réellement.

* On dirait une scène vampirique... *
* Mais que se passe-t-il précisément ? *

Il ne bougea pas. Il ne comprenait pas que c'était elle qui mourait, et regarda la scène avec une fascination mêlée d'excitation. Ce n'est que quand il remarqua les expressions des visages des deux protagonistes - de la profonde frayeur chez Angela, un plaisir immense chez l'autre - qu'il comprit que quelque chose n'allait pas. Après avoir réfléchi proprement aux éventualités qui s'offraient à lui, il s'élança vers le surmutant - il savait tout, la première attaque mentale qu'il avait reçue contenait tout un message télépathique - avec son pieu de bois au moment précis où l'autre ne pourrait pas l'esquiver.

* Vise les côtes ! *

Le choc fut bref et violent ; cela fit le même bruit que quand on casse un oeuf d'autruche, mais en plus fort. Transpercé du flanc droit jusqu'au coeur, le surmutant sans nom vomit un flot de sang, alors que Black Widow avait toujours ses dents plantées dans son cou. Puis le torrent écarlate s'arrêta, et elle tomba à terre, inanimée. Et le pieu commença à ressortir du corps du surmutant, les poussant, lui et son porteur, sur le sable. L'escogriffe, dans un geste purement démonstratif puisqu'il ne servait strictement à rien, essuya son menton avec son avant-bras démesuré.

~ Je n'ai pas encore obtenu ce que je voulais, mais je vais continuer encore un peu avec toi, John Bender. C'est dommage : tu faisais aussi partie de mes plans, et tu y trouvais une place très honorable ; mais pas en tant que repas, non. ~

Et il jeta John et le pieu qu'il tenait à des dizaines de mètres de là, pour ensuite marcher vers lui pour le rejoindre et ainsi finir ce qu'il avait commencé.

~ Je ne compte même pas te tuer ; je veux juste me débarrasser de toi. ~

John se releva avec difficulté, laissant son pieu par terre. Il avait une cheville cassée, mais serait encore assez rapide sur un pied. Restait à savoir quoi faire. Puis il trouva. C'était la seule solution ; elle était peu noble, mais valait son pesant d'or.

Quand l'ennemi ne fut plus qu'à dix mètres de lui, John s'élança en avant, à cloche-pied, et le contourna pour aller chercher Angela. Il la prit dans ses bras - dans un réflexe adorable, elle logea amoureusement sa tête dans son cou -, et continua à cloche-pied de s'éloigner du terrifiant personnage que constituait ce futur prince des ténèbres. Il était déjà loin quand il reçut :

~ Stupide John Bender ! Tu as oublié que j'ai pris le contrôle de ta chère épouse ! ~

Il n'eut pas le temps de se rendre compte de son erreur ; Black Widow avait déjà planté ses dents dans sa gorge. Il parvint à parcourir encore plus de cent mètres avant de d'écrouler au sol. Son corps ne lui obéissait plus, malgré tous les efforts qu'il faisait. Il assistait avec désespoir à la course de l'invincible poison qui passait de sa jugulaire à son coeur et bientôt du coeur à son cerveau.

* John, cette fois c'est la bonne, tu vas y passer, mon vieux. Il te reste quelques secondes à vivre.*
* Non, pas si près du but ! Pas si près ! Je refuse ! *

Ces quelques secondes seraient pour lui des années de réflexion avant de mourir, mais ce serait toujours avant de mourir.

Et il eut effectivement droit à son équivalent de quatorze ans de pensée avortée, emplie de regrets, de désespoir et de haine pour lui-même, pour avoir été aussi bête. Car il aurait dû combattre. En étant plus vigilant, il aurait pu tenir très longtemps au combat, et ainsi faire qu'Angela se remette et se sauve. Au bout d'un moment, il parvint à relativiser - il n'était tout de même pas du genre à faire un deuil de quatorze ans - mais l'amertume lui resta en travers de la gorge. Longuement, il pria et médita, se créant un univers intérieur qu'il nomma Pré-Paradis, où des centaines de personnalités qu'il s'était créées vivaient heureuses et ensemble.



Et à la fin de ces longues secondes, John Bender mourut.


(Suspense !!!)