La fin de November

Boston, en fin d'après midi. Les nuages noirs s'accumulent, déversant sur la ville une bruine glacée. Le froid s'insinue partout, sous les vêtements, sous la peau, dans les cœurs. Les gens fuient la rue, se hâtant de retrouver leur foyer.

Pourtant, au milieu de la foule pressée, un être déambule, prenant le temps de scruter les formes sombres qui glissent paresseusement à ras des buildings. Parfois, le regard d'un passant étonné s'arrête brièvement sur l'étrange silhouette, puis se détourne de dégoût.

November a l'habitude de ce genre de regard. Elle les attire comme un essaim autour du miel. Sa peau écailleuse, sa démarche inhumaine, ses pupilles fendue, sa chevelure d'un roux flamboyant. On dirait quelque créature exotique tout droit sortie d'un roman fantastique. Même l'imperméable informe dont elle est vêtue ne parvient à cacher tous ces traits inhabituels.

Son instinct s'agite à la limite de la conscience de la femme-serpent. Quelqu'un la suit. Elle ne peut déterminer l'intention de celui qui la prise en filature et cela lui est bien égal. La situation lui rappelle sa vie d'avant, quand cachée dans les égouts, elle s'amusait à dézinguer des humains à tour de bras. Elle commençait toujours par les filer… pour provoquer la rencontre.

Sauf que là, c'est l'inverse, c'est elle qui est suivie. Faisant mine de rien, Nov se dirige vers une rue plus étroite, puis bifurque encore dans une impasse. Le bruit des talons de l'autre raisonne sur le bitume. La femme-serpent s'arrête et se retourne lentement, la tête penchée sur le côté, les yeux grands ouverts.

Et l'autre apparaît, dans l'obscurité de l'entre rue. Un humain, bourru, le sourire fier et le regard mauvais. Sa voix raisonne dans l'espace inter-immeuble.

"J'ai pas rêvé, c'est bien une mutos! Dis donc ma belle, qui t'a permis de te balader comme ça en ville, comme si tu en avais le droit."

L'homme se rapproche, un air de prédateur imprimé sur ses traits. Il ne sait pas encore qu'il est déjà mort. Il continue d'avancer et elle, elle ne bouge pas, attendant comme une araignée que le piège se referme sur le moucheron.

Il n'est plus qu'à quelques centimètres. Il se permet un rire gras, saisissant le poignet de November.

"Je vais te faire passer l'envie de te mélanger aux humains!"

Sa grosse main se lance dans les airs, mais ne rencontre que le vide. November s'est renversée en arrière, évitant la gifle. Son poignet glisse entre le tissu et les doigts de l'autre, laissant dans sa main l'imper vide et informe. Leste, elle bondit, laissant le bougre pester à volonté.

Elle parvient dans son dos et l'enlace fermement. Bras et jambes autour de son corps, on pourrait y voir un tableau charmant, si ce n'est la grimace horrifiée de l'humain lorsqu'elle plante ses crocs dans son cou, sa bouche s'ouvrant grande, cherchant un air qui ne vient plus gonfler ses poumons.

Quelques secondes plus tard, il s'écroule comme une masse informe sur le sol détrempé, la pluie polissant son visage tordu de peur et de douleur. D'un coup sec, elle tire d'entre ses doigts son imper trempé et l'enfile négligemment. Elle s'apprête à reprendre sa route, mais une autre silhouette vient d'apparaître à l'autre bout de l'impasse…

...Une silhouette blanche, grise, beaucoup moins imposante que la femme reptile, à première vue. C'est une femme, ou peut être une jeune fille, qui s'avance dans la ruelle. Elle est plus petite, dans les 1m66, vêtue d'un chemisier blanc, d'un pantalon gris et d'un long manteau de fourrure qui devait être blanc à l'origine, mais qui est devenu gris à cause de la saleté. Le bas, trainant au sol, a d'ailleurs prit une couleur douteuse... Même la peau et la chevelure de la demoiselle sont d'une clareté déconcertante. Seules touches de couleur : des iris et une cravate écarlates.

La jeune fille, donc, s'avance lentement dans la direction de la mutante. Ses bottes souples de cuir noir émettent un bruit répétitif, oppressant, sur le bitume humide qui compose le sol, un chuintement sourd de cuir mal gressé. Une fois rapprochée de quelques mètres, mais encore éloignée de quelques autres mètres, la jeune fille s'arrête. Un silence pesant s'installe alors, tandis que les yeux vermeille se posent sur le corps au sol... avant de naviguer vers cette femme-reptile.
Ses lèvres remuent un peu et sa petite voix, une voix d'enfant anormalement glaciale, s'élève dans l'endroit étroit.

"Il méritait qu'on lui arrache la langue, mais tu lui as ôté la vie." La gamine jeune fille garde ses bras le long de son corps, fixant froidement la femme reptile, tandis que huit filins luisants, surmontés de crochets, se déploient, bougeant doucement, comme autant de serpents obéissant à leur maitresse. "Toute mutante que tu es, tu es humaine avant tout. Combien de gens sont morts injustement à cause de toi ? Combien encore si je te laisse partir ?"

Une bien curieuse apparition venait de faire son entrée. Une gamine albinos qui se prenait pour l'avocat, le juge et le bourreau. Encore un mutant qui se prenait pour un héros, un justicier combattant les méchants mutants qui faisaient du mal aux gentils humains.

November laissa s'échapper un long soupir. Elle s'ébroua et fit quelques pas en direction de la gosse. A son âge, ça faisait longtemps qu'elle ne croyait plus aux biomen et qu'elle ne craignait plus les héros en herbe.

Elle haussa des épaules en passant à côté de la mystérieuse jeune fille, ne semblant pas s'émouvoir devant les filins crochus qui l'entouraient.

Elle s'en était toujours sortie, malgré ses adversaires. Et ce n'était pas une môme avec sa pelote de fil barbelé qui allait l'effrayer. Elle ne lui adressa qu'un bref regard, plein de mépris lorsqu'elle la dépassa.

Sa menace, la femme-serpent s'en lavait les mains. Si elle s'était attendue à ce qu'elle tremble, elle pouvait aller se rhabiller. November n'était pas dans un bon jour, fallait pas trop l'asticoter, sinon la gamine rejoindrait le tas de chairs flasques couché au milieu de l'impasse. Mutante ou pas, quelles différences?

La jeune albinos ne fait pas le moindre geste, pour retenir November, ne se retournant pas quand cette dernière la dépasse, ne bougeant même pas le petit doigt. Un courant d'air souffle dans la ruelle, libérant le visage pâle du rideau de cheveux blancs qui le dissimulait à moitié. Pourtant, la femme-serpent se retrouve bloquée...
L'air siffle.
Le froid prend la reptile à la gorge.
Mais ce n'est pas le froid causé par le vent, non, quelque chose s'est enroulé autour du cou de la demoiselle, quelque chose de lisse et de glacial. Juste sous son nez, le bout du filin qui l'a saisit danse, la menaçant de son crochet effilé en l'agitant juste devant le visage de la grande mutante. Les autres pointes acérées et recourbées viennent glisser face à November, lentement, sans la toucher, tandis que Katsue, elle reste derrière. Sa petite voix froide s'élève de nouveau, dans son dos :

"Les bourreaux de ce monde doivent payer pour leur méfaits. Il est temps de te repentir...

Un fil métallique vient s'enrouler autour de la gorge de la femme-serpent. Son visage se tord en un rictus colérique. Elle se débat un instant, son corps souple tentant de se défaire du lien qui à force de bouger fini, par l'étrangler. Les écailles de son cou se coince sur le filin et certaines s'arrachent, libérant une goutte de sang vermeil.

November s'immobilise. Elle est toujours de dos par rapport à la gamine qui vient lui chercher des poux dans la tête. Son bras se déroule vers l'arrière, tandis que le majeur de sa main se dresse en un signe qui ne permet aucun doute d'interprétation.

Soudain, la reptilienne agit très vite, son cou désarticulé se penche en avant, et la tête de November décrit un cercle dans le sens inverse du lien qui l'enserre. Libérée de son désagréable collier, elle se plaque au sol et rampe vers la fille albinos à une vitesse incroyable. Ses bras s'enroulent autour du buste de Sharpy en une étreinte qui n'a rien de sensuelle.

Beaucoup plus grande que sa proie, November se redresse de tout son long, soulevant du sol le petit paquet blanc hérissé de fil de fer. Un pousse vient presser le cou diaphane au niveau de la jugulaire, espérant provoquer une syncope.

Le visage de la femme serpent est à quelques centimètres de celui de Sharpy. Sa bouche s'ouvre en un sourire terrifiant, laissant apparaître deux crocs rétractables. On pourrait presque s'attendre à l'entendre éclater de rire si elle le pouvait.

Le visage de la jeune fille se contracte tout juste sous l'effet de la surprise, fronçant ses sourcils, contrâctant sa mâchoire. En moins de temps qu'il ne fallait pour dire ouf, la femme-reptile est déjà sur elle, l'enlaçant d'une étreinte mortelle que l'homme précédemment exécuté avait déjà pu tester. Mais, loin de paraitre affolée, l'albinos n'en semble que plus déterminée. La fin est proche et, déjà, le pouce féminin se dirige vers sa jeune gorge pour lui faire voir des étoiles...

Ce membre minuscule ne touche pourtant pas la peau blafarde de Sharpy, emprisonné par un filin d'adamantium. Mais ce n'est pas la seule menace qui plane sur la jeune fille car, déjà, les crocs d November se dévoilent, s'approchant dangereusement de sa gorge. Ils s'arrêtent à quelques millimètres de cette gorge si tendre, arrêtés dans le sifflement des filins métalliques. La jeune mutante n'a pas dit son dernier mot.
Rira bien qui rira le dernier...

La femme serpent se retrouve avec deux crochets plantés dans les gencives, derrière les dents, tendis que trois autres sont déjà plantés dans son dos, accrochés à ses côtes, la tirant vers l'arrière. Les deux derniers filins, quand à eux, sont enroulés autour des poignets de Viper, leur pointes fermement plantées dans la peau reptilienne, l'obligeant à lâcher prise. Tandis que ces minces tantacules métalliques s'attèlent à soumettre cette grande meurtrière récalcitrante, leur maîtresse ne bouge toujours pas, droite comme un piquet. Son regard écarlate est planté dans les yeux reptiliens de la femme-serpent.
Elle cherche à y déceler une émotion de la part de la mutante.
Une émotion qui risque fort d'être la dernière.